"C'est comme si on n'existait pas !", lâche Mohamed, le pantalon remonté jusqu'aux genoux, un sceau à la main évacuant l'eau de sa maison. Quatre jours après la nuit cauchemardesque vécue par les habitants du bidonville "El-Khiar" d'Aïn Beïda, dans la commune d'Es-Senia, la peur hante encore les esprits, et depuis, ce sont les yeux rivés vers le ciel et l'angoisse au ventre que chaque famille attend du lever au coucher du soleil. "Vous êtes les seuls et les premiers à venir nous voir, ils auraient peut-être aimé qu'on crève tous en silence ce mercredi dans la nuit. Dites-leur qu'il y a des femmes et des enfants ici !" C'est par ces mots, lâchés froidement, que nous avons été accueillis dans le bidonville où les eaux de pluie s'écoulaient encore avec force. Les récits sont poignants et témoignent d'un vécu de misère, de privation et des familles entières sont en marge de toute vie décente. Dans la nuit de mardi à mercredi, les fortes précipitations qui se sont abattues sur la région d'Oran se sont presque transformées en torrent, traversant ce douar construit dans un ancien lit d'oued. Des constructions fragiles, précaires, collées les unes aux autres, sans urbanisation véritable, abritant quelque 500 familles. Depuis 10 ans, le bidonville n'a cessé de grandir, en contrebas d'Aïn Beïda qui est quasiment une ville, mais qui reste rattachée administrativement à la commune d'Es-Senia. "L'eau est montée à un mètre et a envahi nos maisons, les égouts ont éclaté et tout ressortait par les toilettes !...", raconte une mère de famille, le visage marqué par l'insomnie et la détresse, et qui nous invite à voir l'intérieur de sa demeure où l'humidité et les traces laissées par l'eau sont visibles sur les murs, sur le frigidaire, dans le haouch. Dans un coin, les matelas, les couvertures et le linge mouillés sont entassés. Trois enfants qui suivent le récit de leurs parents, nous regardent hagards. Son mari raconte que son garçon est tombé dans l'eau : "Il a failli mourir, heureusement que des voisins m'ont aidé. Dans toutes les maisons, on a dû se débrouiller pour sortir, on a porté les enfants sur nos épaules, sur notre dos pour sortir." "N'étaient les voisins et des jeunes venus nous secourir, nous serions morts", insiste Brahim. Cette solidarité est la seule chose de positive ressentie ici à El-Khiar, car, en effet, sans cela le pire se serait produit. Alors que nous avançons dans le bidonville, les habitants, qui ont disposé des planches en bois pour traverser les ruelles, nous interpellent de partout, souhaitant nous dire ce que fut leur nuit seuls face à l'eau et sans secours. Par endroit, les hommes ont tenté de contenir la montée des eaux en créant des digues avec des briques, des sacs, des chiffons et des couvertures. En vain. Un des voisins - le premier à donner l'alerte - raconte à son tour : "Il faisait nuit, des habitants d'El-Khiar que je connais m'ont appelé sur mon portable, j'entendais les appels au secours, les pleurs des femmes et des enfants. On a appelé la gendarmerie et les pompiers, mais heureusement que les jeunes de chez nous ne les ont pas attendus et sont allés aider les familles." Et c'est bien après que les pompiers sont arrivés, comme ont témoigné d'autres habitants du bidonville. "Ils nous ont dit qu'il y avait danger dans nos maisons que l'on devait sortir, alors, ils ont aidé certains qui se trouvaient encore chez eux", nous raconte une famille. Les enfants, les femmes et les personnes âgées ont été recueillis par les familles épargnées par les eaux. Une jeune mère de famille, pressentant ce qui se dira sur la construction illégale de son bidonville, s'explique : "Mon mari est un simple vendeur au marché, nous louions tout près de là, mais le loyer nous a ruinés, nous ne pouvions plus tenir, alors nous sommes venus ici." Pour d'autres, c'est la promiscuité avec les parents qui les a poussés à s'installer dans cet endroit. Ces lieux, généralement exigus, manquent d'aération et de soleil. Beaucoup d'enfants ont des problèmes de santé. Un retraité qui connaît bien l'endroit nous confirme qu'ici, les familles sont majoritairement démunies. "Ce sont pour la plupart des journaliers, ils vivent dans des conditions difficiles. Le minimum est de leur venir en aide. Cela fait trois jours qu'aucun d'entre eux n'a travaillé." Et d'expliquer que ce sont toujours les habitants qui, avec les moyens du bord, tentent d'arranger la bouche d'égout éventrée. "C'est comme si on n'existait pas !", lâche Mohamed, le pantalon remonté jusqu'aux genoux, un sceau à la main évacuant l'eau de sa maison. D. L.