À en croire certaines sources, le Premier ministre se serait plaint du président du FCE auprès du chef de l'Etat. Ce qui s'est produit samedi à l'ouverture du Forum algéro-africain d'investissements et d'affaires est visiblement loin de relever du petit incident que l'on s'empresse d'oublier. Le gouvernement tient décidément rigueur au président du Forum des chefs d'entreprise (FCE), Ali Haddad, qui a dérogé au protocole retenu pour la rencontre et a précédé au pupitre le ministre d'Etat, ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, qui devait prendre la parole immédiatement après le Premier ministre, Abdelmalek Sellal. Incontestablement, l'Exécutif vit comme une offense impardonnable, voire un crime de lèse-autorité, l'impair commis par le patron des patrons. Et il n'a pas manqué de le faire savoir plutôt deux fois qu'une. Déjà, au moment du fait, Abdelmalek Sellal et, à sa suite, les ministres présents au forum ont quitté la salle alors qu'Ali Haddad, mine de rien, allait prononcer son discours. Le gouvernement appuie sa désapprobation du comportement du président du FCE, coorganisateur de l'événement, par un boycott de la cérémonie de clôture présidée, hier, par un Ali Haddad plus que jamais solitaire et qui a dû sentir tout le beau monde qui a aidé à son ascension, se dérober autour de lui. Hier, il n'y a eu aucun membre du gouvernement pour donner de la solennité officielle au forum. Au grand désespoir du président du FCE qui ne pourra pas dire que le programme ne prévoyait pas la présence d'un ministre pour le baisser de rideau. C'est lui-même qui a affirmé dans un entretien à TSA que ce qui s'était passé samedi n'était rien puisque, a-t-il soutenu, c'est le ministre de l'Industrie et des Mines, Abdesselam Bouchouareb, qui présidera à la clôture du forum. Certainement instruit pas sa hiérarchie, Bouchouareb a manqué de se déplacer à Club-des-Pins, instruisant par son geste Ali Haddad de ce qu'il faut toujours savoir raison garder, car la prétention démesurée peut être cause d'une descente aux enfers. Aucun membre de l'Exécutif n'a assisté à la cérémonie de clôture, ce qui est synonyme, on ne peut plus clairement, d'un boycott assumé. Un boycott au demeurant prévisible, puisqu'annoncé par l'attitude par trop étrange des médias publics et parapublics qui ont relégué au dernier plan le forum auquel, en d'autres temps, on aurait fait les grosses manchettes et donné des temps d'antenne assez longs dans des créneaux informationnels de choix. En effet, il n'arrive pas si souvent, voire jamais, que la presse publique se singularise dans une telle attitude si elle n'était pas instruite de le faire, à plus forte raison lorsque l'événement est placé sous l'apanage de la présidence de la République. Mais alors que tout le monde, y compris le citoyen lambda, était convaincu que le président du FCE allait payer la lourde facture de la "bévue" de samedi matin, le concerné, Ali Haddad en l'occurrence, faisait paradoxalement mine de ne pas saisir la gravité de la situation dans laquelle il s'était mis. À aucun moment, il ne s'est montré décontenancé, y compris lorsqu'on l'a interrogé sur la manière dont le Premier ministre avait quitté la salle. "(...) Je n'ai pas vu ce qui s'est passé dans la salle, j'étais très à l'aise", a-t-il expliqué. Ce qui est très grave pour un maître de céans qui devait être le plus soucieux du déroulement de l'événement. Hier, il s'est rendu à un timide mea-culpa, tentant, toutefois, de minimiser ce qu'il aurait voulu qualifier d'incident malheureux. Trop peu et trop tard, semble lui avoir répondu le gouvernement. À en croire certaines sources, le Premier ministre se serait plaint du président du FCE auprès du chef de l'Etat. Si la plainte s'avère (justifiée), cela signifie qu'Ali Haddad est dans une mauvaise posture. Le clash avec le gouvernement pourrait lui coûter cher. Il menace d'abord son assise en tant que patron des patrons et, ensuite, ses affaires en tant qu'entrepreneur qui doit sa fortune aux marchés publics. Ali Haddad est menacé de connaître l'infortune aussi vite qu'il a vu naître sa gloire qu'il doit à des égéries tapies dans l'ombre mais qui, à un moment, précisément après la maladie d'Abdelaziz Bouteflika, se sont rendues maîtresses du jeu politique. Il semble aujourd'hui qu'une entreprise de décoffrage est engagé. Des forces ayant repris de la vitalité ferrailleraient à déconstruire et à défaire les échafaudages politiques mis en place à partir de 2013. Cela a commencé avec le renvoi, sans autre forme de procès, d'Amar Saâdani, l'homme qui s'enorgueillit d'avoir terrassé le tout-puissant patron du DRS, et se poursuit, pour ne pas dire se conclut, avec le frais épisode du Forum algéro-africain d'investissements, en passant par la passe d'armes à l'APN entre le président du groupe parlementaire du FLN, M. Djemaï, et le président de l'Assemblée, Ould Khelifa, du même parti. Désigné en novembre 2014 à la tête du FCE, en remplacement de Réda Hamiani qui avait démissionné deux mois auparavant, Ali Haddad a vite fait de prendre des airs d'empereur. Mais il risque de faire long feu à la tête de l'organisation. Il pourrait être victime des mêmes outrances qui ont valu la chute et le précipice pour Amar Saâdani, l'homme qui était dans les secrets d'alcôves plus que les ministres du gouvernement. C'est ainsi qu'Ali Haddad prenait les attitudes de grand vizir et user du "nous" pour parler de certaines décisions gouvernementales. Ce fut le cas lorsqu'il parlait des trois raffineries de sucres autorisées par le gouvernement. Ça ne pouvait passer inaperçu : Ali Haddad parlait comme un chef de gouvernement. Mais avant comme un ministre des Affaires étrangères. On se souvient de sa prestation en 2015, au siège même du ministère des Affaires étrangères, devant des diplomates fraîchement désignés ambassadeurs, que "ce qui liait l'Algérie au monde, c'est l'importation" et que cette situation était insoutenable. Pis encore, il ose la pire des offense à Lamamra en soutenant que les ambassades algériennes "sont, certes, fortes par leurs attachés militaires, mais elles ne le sont pas en termes de représentation économique et commerciale des entreprises". N'ayant pas été rappelé à l'ordre, le président du FCE faisait de l'incursion dans le champ politique un exercice de prédilection, se permettant même des appréciations peu amènes de l'opposition. Cet égarement dans lequel il s'est naïvement complu devait finir par le perdre. C'est peut-être déjà arrivé. Sofiane Aït Iflis