Les tiraillements qui minent le Front des forces socialistes (FFS) sont si profonds et si intenses qu'ils risquent de provoquer la dislocation irrémédiable du parti. L'exclusion de Rachid Halet, un militant de la vieille école, et la cascade de démissions qui s'en sont suivies comme autant de réactions de désapprobation d'une décision jugée anti-statutaire, n'est qu'un jet de lave du magma qui bouillonne à l'intérieur du parti. Preuve en est cette guerre ouverte que se livrent deux des principaux cadres du parti, en l'occurrence le premier secrétaire, Abdelmalek Bouchafa, et le secrétaire national au groupe parlementaire, Chafaa Bouaiche. Les deux responsables se présenteront à la session du conseil national du FFS de vendredi 16 décembre à couteaux tirés. Ils se sont déjà tellement abreuvés de quolibets que cela promet un conclave détonant. Les hostilités ont été ouvertes par le secrétaire national du groupe parlementaire du FFS, M. Bouaiche qui, en date du 24 octobre 2016, adresse un rapport à l'instance présidentielle du parti dont Liberté détient une copie et dans lequel il charge sans ménagement, outre des membres du conseil national avec lesquels il n'est pas en odeur de sainteté et le premier secrétaire national du parti, M. Bouchafa. Ce dernier réplique dans un long courrier adressé à la même instance 12 jours plus tard, soit le 6 novembre 2016. Désigné à la vindicte du présidium, le premier secrétaire national du FFS travaille méthodiquement à démonter l'argumentaire de son accusateur. Mais pas que, car, à son tour, il enjoint un chapelet d'accusations. Les cas Chabati et Tamadartaza Déjà un brin mauvaise, la relation entre les deux hommes s'est davantage détériorée dès lors qu'ils se sont mis en tête de délimiter des platebandes et de s'entourer chacun d'ouailles qui devraient jurer fidélité, voire, au-delà, participer aux manœuvres pour fortifier l'assise au sein de la direction du parti. C'est ainsi que le premier secrétaire national du FFS a trouvé, en le déplacement du député Rachid Chabati au siège de l'Otan avec une délégation parlementaire algérienne, une aubaine pour interpeller le secrétaire national au groupe parlementaire. Il le fait par SMS. Ce qui a déplu à Bouaiche qui le fait savoir dans son rapport au présidium du FFS. Mais sur le cas Chabati, il assume avoir autorisé le député à se rendre à Bruxelles. "Je rappelle que le camarade Rachid Chabati a été choisi par moi-même, en ma qualité de chef de groupe parlementaire du parti, pour prendre part à cette mission parlementaire, une mission toute banale qui entre dans le cadre de la diplomatie parlementaire. L'objectif de cette mission était de se rendre au siège de l'Otan, en compagnie d'autres députés algériens pour écouter des explications d'experts sur le rôle de l'Otan, son implantation dans le monde, ses relations avec l'Algérie (...)", assume Bouaiche qui, au passage, précise qu'"il a avisé la vice-présidente du groupe parlementaire, Nora Mahiout, qui a approuvé". Mais pour le premier secrétaire national du FFS, M. Bouchafa, la mission au siège de l'Otan n'est pas si banale que le prétend le chef du groupe parlementaire. Voici ce qu'il écrit dans son courrier aux membres du présidium du FFS : "Vous n'êtes pas sans savoir que la doctrine politique et militaire de l'Otan est en totale contradiction avec la philosophie et les principes fondateurs de notre parti. La position de notre éternel président Hocine Aït Ahmed à cet égard, est connue de tous." Le secrétaire national du groupe parlementaire du FFS évoque également le cas du député Tamadartaza qui a accompagné à Paris le président du conseil de la nation. "Des articles de presse, commandés par des camarades, m'ont ciblé en faisant croire que c'est le chef du groupe parlementaire qui a autorisé le camarade Moussa Tamadartaza à prendre part à la mission. J'ai pris attache avec le premier secrétaire pour lui expliquer que le camarade Tamadartaza s'est rendu à Paris en cachette et qu'il n'a informé personne. Le premier secrétaire m'a demandé de faire un rapport. Ce que j'ai fait", se défend Bouaiche mais qui ne reste pas sans accuser Bouchafa de couvrir le député. "J'ai rappelé le premier secrétaire pour lui dire de demander à Tamadartaza de lui envoyer un rapport. Il m'a répondu que Tamadartaza lui a envoyé un rapport avec 13 pièces jointes... Je lui ai dit + alors il dit quoi ? +, Bouchafa m'a répondu ne pas avoir encore lu le rapport ! Et qu'après lecture, il me rappellera. Il ne m'a jamais rappelé." Dans sa réplique à l'accusation, le premier secrétaire du FFS écrit : "(...) si le camarade Bouaiche a des preuves sur l'implication des membres du secrétariat national dans la diffusion de la vidéo de Moussa Tamadartaza, il n'avait qu'à transmettre un rapport au 1er secrétaire, sinon ça ne peut être considéré que comme des propos diffamatoires à l'égard des membres du SN." Rivalités extrêmes à la Fédération de Béjaïa Le secrétaire national du groupe parlementaire du FFS accuse, par ailleurs, dans le même rapport à l'instance présidentielle, le premier secrétaire du parti de mettre sous le coude des rapports qui lui sont parvenus de la Fédération de Béjaïa. Bouaiche met à profit l'opportunité de cette missive au présidium pour solder des comptes. C'est ainsi qu'il reproche au premier secrétaire de s'être interdit de traiter le cas du membre du conseil national du FFS, Linda Taalba, que le député accuse de "comportement indigne" lors d'une réunion à la fédération. Bouaiche s'interroge aussi comment Linda Taalba s'est retrouvée dans le comité d'organisation de l'université d'été. "Faut-il rappeler que Linda Taalba a été désavouée par un rapport de trois camarades membres du conseil national lorsqu'elle avait accusé Chafaa Bouaiche de l'avoir insultée ? Depuis, on fait tout pour promouvoir Linda Taalba...pour provoquer la Fédération de Béjaïa", a ajouté Bouaiche. Ne s'arrêtant pas là, ce dernier accuse la direction, entendre le premier secrétaire et ses partisans, d'avoir, coup sur coup, validé la mission des députés Belkacem Benameur et Nouredine Berkaine à prendre part à une activité de la zaouïa Alaouia de Mostaganem. Une activité, souligne-t-il, organisée pour décerner le premier prix Emir-Abdelkader à Lakhdar Brahimi par le ministre de la Culture, mais aussi l'intervention de parlementaires du FFS auprès du wali d'Oum El-Bouaghi pour "empêcher la démolition d'une construction illicite du secrétaire national à l'organisation". Le premier secrétaire du FFS prend cause et fait pour les députés incriminés par Bouaiche, confirmant que les deux députés qui se sont rendus à Mostaganem ont été autorisés, justifiant que "l'objectif était de maintenir le lien avec cette conférérie dont une centaine de membres s'étaient déplacés à At Ahmed lors de la waâda de la fondation des Ouled Naïls offerte à la mémoire de Si El Hocine, sur invitation du parti". Bouchafa rappelle également que "la famille de notre cher président a des relations étroites avec la confrérie alaouite". Il defend aussi le député Benameur qui s'était rendu à Oum El-Bouaghi pour rencontrer le wali. "Le camarade Bounab, qui était légalement dans ses droits, a été victime du harcèlement du P /APC d'Aïn Fekroun. Il s'agit d'une action de solidarité avec un membre du SN lésé dans ses droits." Dans sa lettre, en 12 points, à l'instance présidentielle du parti, le premier secrétaire du FFS accable de reproches le député Bouaiche, auquel il endosse un manquement aux obligations militantes, notamment d'avoir manqué à des engagements pris. Purges Cet affrontement impliquant deux responsables du FFS trahit une guerre de clans. Des clans qui vont se donner l'empoignade vendredi, lors de la réunion du conseil national du parti. Un conseil national dédié, dit-on, à la poursuite des purges qui devraient concerner les adeptes de Rachid Halet. Mais l'on ne sait pas qui de Bouchafa ou de Bouaiche s'en sortira renforcé. Ce qui est sûr c'est que le parti en sortira affaibli. Sofiane Aït Iflis