Alors que le premier complexe a démarré dans les années 1960, les torches crachant, à longueur d'année, des fumées noires de gaz brûlés et les cheminées dégageant des produits chimiques, caractérisés par la couleur jaune de l'ammoniaque, sont devenues la plaie de la région. La population, elle, est soumise depuis plus de 20 ans à une pollution sournoise qui, aujourd'hui, révèle toute son ampleur. En effet, il est plus difficile, aujourd'hui, de trouver dans les communes d'Arzew et de Béthioua une famille totalement épargnée par les maladies respiratoires, que le contraire. Les nuages noirs et autres vapeurs toxiques des complexes de la zone industrielle, qui ont fonctionné sans trop se soucier des effets sur l'environnement à long terme, masquent le ciel de ces deux localités et en polluent l'atmosphère. Des associations et parfois de simples citoyens, qui dénonçaient les conséquences néfastes de ces industries pétrolières et chimiques sur leur santé et celles de leur famille depuis des années, et de l'impact environnemental, n'étaient guère écoutés, car la zone pétrochimique intouchable “remplit le ventre des Algériens”, nous dira un retraité qui aussitôt rectifie avec cynisme et dit “kerch'oum”, car ici à Arzew et Béthioua, les citoyens sont nombreux à se plaindre comme Rachid, fonctionnaire, la quarantaine : “La zone c'est la richesse, mais pour nous, on ne voit rien, beaucoup de jeunes sont au chômage, il y a des bidonvilles et la commune vous dit qu'elle n'a pas les moyens. Nous récoltons, notamment, les désagréments, la poussière et la fumée.” Plus que jamais, aujourd'hui, vouloir aborder ce sujet vous confronte à une chape de plomb, un silence lourd, parfois justifié par certains responsables qui vous lâchent : “Vous savez c'est toucher à l'économie !...” La zone industrielle s'étend sur plus de 12 km, le long de la baie d'Arzew, soit plus de 3 500 ha. Ils sont en tout 15 complexes implantés dans cette zone rajoutés aux unités de service. Il existe une douzaine de torches qui rejettent chaque jour dans l'atmosphère des milliers de m3 de gaz carbonique et d'autres substances chimiques, sans omettre les autres rejets dans la mer et les infiltrations dans le sol. Le cocktail de pollution d'Arzew Métaux lourds, CO2, sulfates, acides, oxydes d'ammoniaques, hydrocarbures “certains soirs, les flammes des torches sont très hautes et les nuages de fumée noire recouvrent toute la région, particulièrement de notre côté à Béthouia... Les fumées jaunes de l'usine d'Asmidal sont aussi très repérables. Parfois, il est vraiment difficile de respirer, la gorge et les yeux vous piquent... et c'est tout le temps comme ça; les enfants les vieux... on est tous touchés !...” Ali travaille dans la zone comme technicien et vit à proximité de la zone dans un logement de fonction, il nous dira : “Cela fait des années qu'ils parlent de mesures pour limiter le rejet des gaz brûlés, on attend toujours, mais on n'a pas le choix, il faut bien continuer à travailler et vivre avec tout ça !...” Un témoignage que l'on ne cesse de rencontrer et qui en dit long sur les contraintes vécues par les habitants. Pourtant, aucune étude fiable et exhaustive sur cette situation n'est disponible ou n'a été rendue publique pour quantifier ce problème ou déterminer les quantités de polluants déversés et rejetés et cela par rapport aux normes internationales. En revanche, pour ce qui est de l'inventaire des sources de pollution et des types de pollution, des données sont disponibles depuis qu'un bureau d'études étranger “Atos environnement” a réalisé une étude pour la mise en place d'un centre de surveillance de la pollution dans la zone industrielle. Les résultats sont éloquents puisque l'on apprend la présence dans l'atmosphère de polluants de type CO/CO2, de l'urée, de l'acétone, des métaux lourds des solvants chlorés, des oxydes de carbone, NH3, etc. Plusieurs points ont été pris comme référence pour les mesures, entre autres, au niveau des complexes d'Asmidal, GL2Z, mais également à Aïn El-Bya, Béthioua. Des prélèvements effectués dans les principaux cours d'eau de la région tels que El-Mouhghoun, Tasmanit, El-Rahi, mettent en évidence là également la présence de métaux lourd, des sulfates, des acides et des hydrocarbures qui, peut-on lire dans le rapport, “sont en quantité très importante dans tous les échantillons…” La présence de zinc, également, a été constatée au niveau des points de rejet des industries pétrolières. Le bureau d'études livre encore dans son rapport qu'il y a “présence de mercure dans l'eau de mer à proximité de GNL...” L'inventaire des polluants dans le sol au niveau de la zone industrielle est tout aussi inquiétant, et démontre un impact important des métaux lourds en aval des complexes tels que RTO, Naftec, Enip. Les conclusions et commentaires que l'on trouve dans ce rapport montrent que l'impact de la pollution “est identifié sur les eaux de surface par transfert de pollution vers le milieu marin, impact identifié sur la qualité de l'air et du sol par les retombées liées à l'activité pétrolière et à la fabrication des engrais…” Un état de fait qui angoisse grandement des mères de famille ; Khadidja, mère de 3 enfants, est inquiète quant à la santé de ses enfants, justement “avec la télé, on sait pertinemment que la pollution des sols et de l'eau va toucher l'agriculture et c'est des années après que l'on découvre que vous êtes atteints de maladies telles que les cancers… que va-t-il arriver à nos enfants; nous qui vivons à proximité de la zone… mon aînée fait de l'asthme alors qu'elle n'a que 12 ans…” Souffrance des populations Au niveau des urgences respiratoires du CHUO, nous avons croisé Hlima, retraitée, qui a travaillé pendant 20 ans dans la zone industrielle. Aujourd'hui, elle se considère comme une véritable handicapée souffrant de bronchite chronique et d'asthme : “J'ai dû travailler pendant 20 ans à Arzew pour faire vivre mes 3 enfants, mon mari ayant quitté le domicile conjugal, sans avoir jamais donné signe de vie… je travaillais dans un bureau, mais on respirait toujours les fumées… Ça me prenait à la gorge, notamment le soir, j'avais l'impression d'étouffer… Regardez-moi, aujourd'hui, je peux à peine monter les escaliers, je traîne régulièrement des bronchites que je n'arrive pas à guérir ; plus de la moitié de ma pension va dans les médicaments et si je n'ai pas “ma pompe”, je crois que je mourrais étouffée”, et de soupirer : “Rabi y'feradj aâlia…” Le Pr Berrabah du service des asthmatiques nous a reçus entre deux consultations et expertises. D'emblée, celui-ci nous fait part du constat qu'il a pu établir avec son équipe médicale : “Les régions d'Arzew, Béthioua, Gdyel sont fortement polluées, on le perçoit lors des consultations… C'est un problème majeur. Nous avons deux types de malade : En premier lieu, les travailleurs de la zone, âgés de 45-50 ans, ils développent un début d'asthme, par la suite ils ont des complications avec des bronchites chroniques, ceux-ci souffrent d'absentéisme. J'ai le cas d'un responsable de la sécurité qui a été contraint de déménager pour des raisons de santé, il ne pouvait plus supporter de vivre à Arzew…” et de poursuivre : “Tous ces travailleurs souffrent ; c'est une réalité que l'on ne peut occulter… La deuxième catégorie de malades, ce sont les enfants, on en reçoit beaucoup qui sont de la région, ils manquent souvent l'école et en dépit du traitement que nous leur donnons, ils rechutent rapidement comparativement aux autres parce qu'ils habitent aux alentours de la zone… Si dans les zones rurales, la prévalence est de 4 à 5% d'asthme en milieu scolaire, là-bas, dans cette région polluée, elle est de 10% dans une classe de 30 élèves !…” Notre interlocuteur souhaite que les pouvoirs publics prennent conscience de cette situation, “car il y va de l'avenir de ces enfants, de leur corpulence, ce seront des adultes qui seront handicapés…” Le Pr Berrabah expliquera encore : “Qu'il n'y a eu que de très rares études qui ne sont pas suffisamment complètes et restent parcellaires…”, le secteur de la santé publique n'a pas les moyens nécessaires pour financier les études et autres travaux de recherche alors, dit-il : “Pourquoi les grandes entreprises comme Sonatrach ne pourraient-elles pas financier de tels programmes ?…” Un juste retour des choses en somme. Pour l'heure, c'est le ministère de l'Aménagement qui semble vouloir insuffler de nouvelles règles et le principe de l'entreprise citoyenne avec toute une série de lois et de réglementations pour amener les entreprises polluantes à adopter des procès moins polluants. Quant à la délocalisation des intérêts des industries polluantes et à risques, il est évident que la zone industrielle d'Arzew ne peut être touchée. D'aucuns s'imaginent ici de voir une délocalisation de certains quartier d'Arzew. En effet, un scénario catastrophe prévoit que si une explosion importante survenait dans l'un des complexes, un effet dominos pourrait avoir lieu et embraser la région sur des dizaines de km, de même que la dispersion de gaz pourrait créer des surfaces de pollution de 5 800 m de diamètre. Un autre Hassi-Messaoud est-il donc possible ici ? Projet de réduction des gaz torchés Des statistiques de la BM révèlent que le niveau mondial de l'évacuation et du brûlage des gaz par torches est estimé à plus de 100 milliards de m3/an. 80% de ces émanations sont répertoriées dans moins de 15 pays dont, l'Algérie, qui se trouve dans le peloton des 10 premiers pays à torchage important dans le monde. À ce titre, notre pays, à travers la Sonatrach (SII), est concerné au premier chef par le projet de réduction des gaz torchés “GGFR” de la B.M. qui regroupe des gouvernements producteurs (Algérie, Caméroun, Nigeria, Equateur, EU, Royaume-Unis etc.) et des entreprises pétrolières publiques et privées telles que Shell, Texaco, BP, Mobil Total Exxon, SH... La B. M. et la SII se sont mises d'accord pour la réalisation de deux études visant à sélectionner et identifier des projets de récupération de gaz torchés et qui permettraient, de cette façon, à la zone industrielle d'Arzew, qui compte une douzaine de torches, d'être incluse dans ce programme. F. B.