Cyberviolence, discrimination institutionnelle à l'égard des femmes voilées, agressions, attaques de lieux de culte. La stigmatisation des musulmans est devenue récurrente en France. Deux organisations, l'Observatoire contre l'islamophobie et le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) font des constats inquiétants. L'onde de choc provoquée par l'attaque meurtrière qui a ciblé dimanche soir une mosquée du centre culturel islamique du Québec a été ressentie en France, surtout chez les musulmans. Abdellah Zekri, président de l'Observatoire contre l'islamophobie et membre du Conseil français du culte musulman (CFCM), que nous avons joint au téléphone, a exprimé "son dégoût", faisant le parallèle entre cet attentat et celui dirigé contre un prêtre dans une église de Rouen, l'été dernier. "Ces personnes ont été tuées au moment où elles finissaient de prier. Elles étaient là uniquement pour pratiquer leur culte dans la dignité", déplore notre interlocuteur, inquiet pour le sort des musulmans de France. Selon lui, tout peut arriver dans un pays où les groupes identitaires et racistes ont le vent en poupe, galvanisés par des discours politiques franchement anti-musulmans. Dans les faits, la haine contre les musulmans s'affiche de manière récurrente. Il y a quelques jours, un fidèle découvrait une tête de sanglier devant une mosquée neuve, dans un petit village de l'Yonne où le Front National est arrivé en tête au cours des dernières élections régionales. Faisant mine devant les journalistes locaux d'être scandalisé, le maire a pourtant l'habitude de distiller à travers les réseaux sociaux le discours haineux de son parti à l'égard des musulmans. D'autres représentants du spectre politique français, de droite comme de gauche, ont également appris à faire du "muslim bashing" leur spécialité. Soulagé de voir l'ancien président Nicolas Sarkosy éliminé de la course à l'Elysée, M. Zekri découvre "stupéfait" un François Fillon (candidat des Républicains) tout aussi hostile à l'égard des musulmans. "Lorsque M. Fillon dit qu'il souhaite un strict contrôle sur le culte musulman et affirme qu'il n'y a pas de problème avec les juifs, les catholiques et les protestants mais qu'il y en a un avec les musulmans, il se trompe. Il y a un problème avec les terrorismes que l'Occident a mis en place en assassinant certains chefs d'Etat dans le monde arabe", s'indigne le président de l'Observatoire contre l'islamophobie. Celui-ci s'élève également contre cette tentation des responsables de la droite française de vouloir depuis des lustres "assimiler les musulmans". "L'assimilation est une négation de notre culture. On est citoyens français et personne n'a le droit de toucher à notre culture", fait-il savoir, martelant à l'envi qu'il faut arrêter de stigmatiser les musulmans. Pour cause, le rapport 2016 de l'Observatoire (publié hier) montre que l'islamophobie est devenue un sport national. Sur le plan statistique, le bilan est pourtant moins dramatique qu'il y a un an. Le nombre des actes islamophobes (182) a effectivement diminué de plus de moitié par rapport à 2015 (où les chiffres avaient explosé (+1172%) dans un contexte d'attentats violents). Mais selon M. Zekri, cette baisse statistique n'est pas complètement illustrative, car dans les faits la stigmatisation des musulmans a pris de l'ampleur. Il évoque notamment l'affaire du burkini montée de toutes pièces par la classe politique. "Cette campagne a permis aux responsables politiques de diluer les véritables problèmes de la France", fait rappeler le président de l'Observatoire, qui précise avoir rédigé un communiqué à l'ensemble des candidats à la présidentielle, leur demandant de ne pas se saisir des questions identitaires pour cristalliser le débat politique et stigmatiser les musulmans. M. Zekri évoque aussi la déferlante de haine sur internet et les menaces de mort qui ciblent les responsables de l'islam de France. À ce sujet, notre interlocuteur déplore la passivité des autorités judiciaires qui classent systématiquement les plaintes enregistrées sous prétexte que les mis en cause ne sont pas identifiés. Selon lui, l'attitude très peu coopérative des tribunaux dissuade souvent les victimes d'actes islamophobes de porter plainte. De son côté, le gouvernement s'emploie tant bien que mal à prévenir certaines attaques contre les mosquées. Par crainte d'attentats et les dégradations, les autorités ont en effet décidé d'offrir une protection policière à plus d'un millier de lieux de culte. Un million d'euros a par ailleurs été dégagé depuis deux ans afin d'équiper les établissements de prière de caméras de surveillance. Tout en saluant ces mesures, le président de l'Observatoire contre l'islamophobie estime néanmoins que la protection des musulmans consiste avant tout à ne pas les exposer en portant sur eux tous les maux de la France. De Paris : Samia Lokmane-Khelil