Parmi les victimes, un chercheur universitaire, d'origine algérienne, en l'occurrence Khaled Belkacemi, qui était sur le point de conclure une recherche sur la substitution des agents de conservation des aliments par des ingrédients naturels, selon la directrice de l'Inaf, Sylvie Turgeon. Ils étaient dans un lieu de paix. Ils venaient d'accomplir la cinquième et dernière prière du jour. La dernière de leur vie. Six musulmans périssent atrocement dans une fusillade qui a ciblé, dimanche soir, la grande mosquée de la ville de Québec. L'assaillant, Alexandre Bissonnette, un Québécois de 27 ans, ancien étudiant en anthropologie et en sciences politiques à l'Université de Laval, pénètre dans le Centre culturel islamique sur chemin Sainte-Foy. Il tire dans le tas et recharge son arme à trois reprises, avant de prendre la fuite. Sur place, une atmosphère indescriptible s'installe dans la mosquée. Le bilan est lourd : 6 morts et 19 blessés, dont 5 dans un état grave. Parmi les victimes figurent deux Algériens : Abdelkrim Hassan, un informaticien de 41 ans, père de trois filles, et Khaled Belkacemi, 60 ans, père de deux enfants, professeur titulaire et chercheur à la faculté de sciences de l'agriculture et de l'alimentation de l'Université de Laval. Les autres victimes sont un Marocain, un Tunisien et deux Guinéens. Amir, le fils du professeur assassiné, a réagi sur sa page Facebook. "Hier soir, lors des événements ignobles à la mosquée de Sainte-Foy, plusieurs familles ont été bouleversées à jamais. C'est le cas de la mienne, alors que mon père a perdu la vie aux mains d'un fou. Mon père, un homme droit et bon, un exemple de résilience, un homme aimé de tous, un professeur et un chercheur émérite, un battant, qui a quitté son pays pour donner une chance à sa famille de vivre loin de l'horreur. Le destin nous a rattrapés. Aujourd'hui, toute la communauté arabo-musulmane du Québec est sous le choc. Mais nous restons solidaires, fiers et forts", a-t-il commenté dans son post. L'auteur de la fusillade, Alexandre Bissonnette, arrêté par la police deux heures après son forfait, fait face à 11 chefs d'accusation dont 6 pour meurtre, rapporte l'agence de presse canadienne. Mohamed Blekhadir, d'origine marocaine, interpellé une première fois dans cette affaire, a finalement été relâché par la police. Il sera témoin dans le procès de Bissonnette. Des témoins de la fusillade ont du mal à réaliser ce qui leur est arrivé. "J'ai vécu l'horreur. Je ne sais pas comment j'ai eu la vie sauve. J'ai vu des fidèles gisant dans une mare de sang. C'est vraiment atroce", témoigne Hakim. Sa voix, au bout du fil, débite machinalement des mots hachés, entrecoupés de sanglots, avant de s'interroger dans un moment de lucidité : "Pourquoi tant de violence ? Pourquoi tuer, comme ça, gratuitement, des musulmans ?" Notre interlocuteur pointe du doigt la stigmatisation de la communauté musulmane favorisée par le discours populiste ambiant. Condamnations unanimes et élan de solidarité C'est justement ce discours que le sociologue Rachad Antonius tente de battre en brèche. Contacté par nos soins, le professeur de sociologie à l'Université du Québec à Montréal (Uqam) ne trouve pas les mots pour qualifier l'ignoble attentat. "C'est un événement dramatique, d'abord personnellement et ensuite politiquement. Je connais deux des victimes. Il est clair que ce qui est recherché à travers cette violence injustifiée, c'est de rendre la vie délicate aux musulmans. C'est un acte barbare qui vise à stigmatiser les musulmans", dénonce M. Antonius, qui évoquait ces appréhensions prémonitoires lors d'une conférence animée mercredi dernier à l'Uqam sur l'islamophobie. M. Antonius se dit par contre très encouragé de voir les Québécois manifester massivement leur solidarité aux victimes et à la communauté musulmane. Interrogé sur la lecture qu'il fait de cet acte terroriste qui a ciblé un lieu de culte, Rachad Antonius dit attendre les développements de cette affaire. "Il faut, à mon avis, attendre de connaître les motifs de l'auteur de la fusillade", dit-il, ajoutant que, même s'il y des groupes violents au Québec, il ne faut pas généraliser. Pourquoi c'est la ville de Québec qui a été le théâtre de cet attentat terroriste ? Le sociologue ne trouve pas de réponse, mais tente de restituer les faits dans leur contexte. "Le discours antimusulman qu'on entend au Québec peut contribuer à l'instauration d'un climat malsain qui favorise ce genre d'extrémisme", explique notre interlocuteur. Outre la classe politique et la société civile, la communauté universitaire a également condamné unanimement la fusillade de Québec, dont un chercheur universitaire était parmi les victimes, en l'occurrence Khaled Belkacemi qui était sur le point de conclure une recherche sur la substitution des agents de conservation des aliments par des ingrédients naturels, selon la directrice de l'Inaf, Sylvie Turgeon. Pour sa part, le recteur de l'Uqam, Robert Proulx, a dénoncé l'attentat perpétré dans une mosquée de Québec. "Les actes de violence et de terrorisme n'ont aucune place dans une société pluraliste et démocratique, et ils doivent être dénoncés sans relâche", lit-on dans un communiqué rendu public. Lundi soir, plusieurs rassemblements de solidarité ont été organisés à travers plusieurs villes du Québec. Les premiers ministres du Canada et du Québec, MM. Justin Trudeau et Philippe Couillard, ont participé au rassemblement de la ville de Québec, alors qu'à Montréal deux rassemblements populaires ont été tenus à l'appel d'organisations musulmanes. Devant le métro Saint-Michel, une centaine de personnes ont répondu à l'appel du Collectif canadien anti-islamophobie, tandis que des milliers de personnes ont bravé le froid de canard en participant à la vigile de solidarité devant la gare Jean-Talon, près du métro Parc. Des activités similaires ont eu lieu à Sherbrooke, Saguenay, Rimouski, Trois-Rivières, etc. Le gouvernement du Québec a décidé de mettre le drapeau québécois en berne. De Montréal : Yahia Arkat