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"J'ai voulu revenir à cette belle poésie arabe dédiée à la femme"
Maïssa Bey à propos de son dernier roman "Hizya"
Publié dans Liberté le 11 - 02 - 2017

Maîssa Bey fait partie de ces femmes de lettres algériennes dont le nom a dépassé les frontières et dont le talent d'écrivaine n'a pas besoin d'être glorifié. Ses écrits parlent d'eux-mêmes. Rencontrée à la librairie Point virgule de Chéraga lors d'une séance de signatures de ses ouvrages, entres autres son dernier roman Hizya paru aux éditions Barzakh, l'auteure s'est prêtée à notre jeu de questions–réponses.
Liberté : Votre dernier livre Hizya paru aux éditions Barzakh, est inspiré du poème de Benguitoun. Pourquoi l'avoir choisi comme titre et personnage de votre roman ?
Maïssa Bey : Mon penchant pour le poème Hizya de Benguitoun remonte à très loin dans le temps. Je le connaissais, mais je ne savais pas qu'il décrivait ainsi la femme. Ce n'est que quand j'ai lu sa traduction que j'ai compris la profondeur et le sens de ces belles paroles. Et dans ce roman justement, j'ai voulu revenir à cette belle poésie arabe dédiée à une femme dont on décrit sans gêne le corps dans toute sa beauté et sans aucune arrière-pensée que celle d'exprimer son ravissement face à cette belle créature. Mais ce sont des paroles propres, saines, humaines, dépourvus de vulgarité, un poème qu'on pouvait déclamer sans se poser de questions sur d'éventuelles gênes occasionnées, dit aussi bien lors d'une assemblée de village que durant une soirée au milieu de gens ravis et à l'écoute... Un hymne à l'amour et à la beauté faite femme ! Vous imaginez un Abdelhamid Ababsa qui a chanté ces paroles... c'est dire leur portée et leur beauté ! Mais qu'en est-il aujourd'hui ?
Qu'en est-il aujourd'hui de cette poésie et de la notion de l'amour ?
Justement, c'est à cette question que j'ai voulu revenir et répondre dans ce roman... Qu'en est-il de la Hizya de notre époque, celle qui habite La Casbah, qui a fait des études... ? De la femme et de l'amour contemporains ? À travers mon personnage, ma Hizya des temps modernes, la réalité dévoile autre chose. L'amour et le corps ne peuvent être décrits de la sorte sans provoquer de réactions parfois de gêne, et souvent aussi d'incompréhension, voire de violence et de refus. Et mon personnage va aussi faire un autre constat, valable lui aussi bien hier qu'aujourd'hui : celui de voir que la femme n'est décrite que par sa beauté, que par son corps, on l'a toujours réduite, et on continue, à un simple objet de désir et de convoitise...
On ne fait jamais référence à elle quand il s'agit de courage, de force, ou de bravoure ou un autre attribut qu'on associe systématiquement à l'homme.
Pensez-vous que les poètes d'aujourd'hui sont aussi libres pour parler de la femme dans leurs œuvres ?
On ne peut pas dire qu'il n'y a pas de textes ou de poèmes qui parlent de la femme ou qui la décrivent, mais cela n'est pas d'une façon directe... Il y a comme des détours ; c'est plus par des métaphores et des allusions qu'on le fait, comme dans les textes du chant chaâbi par exemple. Mais j'ai eu l'agréable surprise de constater que les plus jeunes ont réussi à se libérer de cette gêne et ont plus de liberté à s'exprimer ou d'exprimer leurs sentiments par la parole, donc par des textes plus directs ; ceci étant, ils restent tout de même sous l'enclave de ce code de la pudeur, cette notion de hchouma qui les fait parfois taire leur envie de dire... Mais il y a aussi le raï qui a osé dire, mais ça paraît tout de suite trop osé, à la limite du vulgaire parfois, et ce n'est pas le but justement d'où le dénigrement... Et nous autres auteurs, on se retrouve confinés au milieu de tout ça, essayant de tout cumuler pour nous faire une idée de toute notre époque et de toutes ces situations...
Les auteurs et la littérature algériens à l'école, qu'en pensez-vous ?
Vous faites bien de me poser cette question car cela me permet de raconter une petite anecdote triste et rigolote à la fois. Ici, en Algérie, la seule fois où j'ai pu rencontrer des élèves, ce fut au lycée international Alexandre-Dumas - et c'est triste de ne pas le faire souvent et partout, même pas au lycée de Bel-Abbès là où j'ai enseigné, j'aurais aimé y être invitée – là, certains élèves m'ont dit que ça leur faisait bizarre de me rencontrer en tant qu'auteure car pour eux tous les auteurs qui sont dans les livres sont morts... C'est dire le drame et le comique de la situation. On vient de me faire savoir que l'extrait d'un de mes textes figure dans le nouveau livre de première année, je ne le savais pas, personne ne me l'avait dit avant, mais j'en suis contente. C'est un bon début, je crois... Espérons que cela va changer car je vous avoue que je ne sais pas pourquoi en Algérie, on a peur de la parole des auteurs. Qu'est ce qui empêche d'inviter un auteur dans les écoles pour parler aux élèves, échanger, partager, organiser des ateliers d'écriture, leur faire aimer la lecture et pourquoi pas déceler en eux des talents d'écriture ? Cela ne nécessite pas des moyens faramineux que je sache pour prétendre qu'une telle action culturelle est coûteuse... Il faut de la volonté me direz-vous ? Oui, et cette volonté existe chez beaucoup mais il faut voir où une telle action coince car ça coince quelque part... Au niveau de l'Education nationale car les directeurs d'établissement ont besoin d'autorisation pour ouvrir leur porte ? Possible, mais j'ai cru comprendre que la volonté y est aussi alors... on attend et on espère. Possible qu'on ait peur de la transgression de certains auteurs ou de certains textes qui pourraient paraître subversifs, mais je pense que les auteurs sont assez mûrs pour adapter leur discours aux enfants auxquels ils feront face et à qui ils s'dresseront en toute maturité... C'est malheureux qu'on ne fasse rentrer à l'école que des clowns pour jouer alors que nos enfants ont besoin de bien plus que cela...
Un mot sur la situation de la femme algérienne aujourd'hui ?
Ce qui me désole le plus, c'est de voir que le combat qu'ont mené nos mères pendant la guerre de Libération et à l'indépendance pour nous voir, nous les filles et femmes, aller à l'école, nous instruire et aider à bâtir notre Etat, est en train de tomber à l'eau, et tous nos droits acquis semblent être bafoués. Ce qui est le plus dramatique dans cette histoire, c'est que ce n'est pas seulement l'homme qui est responsable de cette situation, mais aussi la femme, la mère ! Je trouve que la femme est pour beaucoup dans cette régression des mentalités qui fait que la femme agresse la femme, que la femme considère une autre femme comme un être indigne... que la mère ne sache pas inculquer les véritables valeurs à ses enfants. Je vais peut-être en faire bondir certains mais pour moi la mère qui ne sait pas apprendre à son fils le respect de la Femme ne mérite pas le nom de Mère !
S. B.


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