La recherche des bons profils pour leur confier des postes de responsabilité est une préoccupation permanente pour les entreprises. Souvent cette recherche les conduit à se tourner trop vite vers les recrutements externes, négligeant ce qu'elles pourraient recéler comme compétences en interne. Elles risquent ainsi de passer à côté des talents cachés que les procédures de l'entreprise n'ont pas été capables de déceler. ll y a quelques mois, l'auteur de ces lignes se trouvait au secrétariat du PDG d'une des filiales d'un grand groupe industriel algérien avec lequel il avait rendez-vous. Ce jour-là, une jeune employée, habituellement attachée au bureau d'ordre de la DG, remplaçait la secrétaire du PDG, momentanément absente. Recevant un coup de fil de l'extérieur, et se rendant vite compte qu'elle avait affaire à un étranger, elle a utilisé successivement le français, l'arabe et enfin l'anglais pour comprendre ce que voulait son interlocuteur. Chaque fois, elle s'était exprimée avec une parfaite maîtrise des trois langues, adoptant même l'accent qui correspondait au contexte. Interrogée sur son background, elle a indiqué qu'elle avait fait une simple licence en lettres arabes et qu'elle avait appris l'anglais en prenant l'initiative personnelle de prendre des cours. On connaît la difficulté de trouver aujourd'hui dans nos entreprises des collaborateurs qui savent s'exprimer correctement dans plusieurs langues et capables de tenir des discussions de niveau professionnel correct avec leurs interlocuteurs. À l'évidence, cette jeune employée n'était pas à sa place comme assistante du préposé au bureau d'ordre de la DG ! Ses compétences auraient été certainement beaucoup mieux utilisées dans des fonctions hautement plus productives pour l'entreprise et plus motivantes pour elle. Cette anecdote reflète en réalité un phénomène qui touche la plupart des entreprises. Même les entreprises dotées de robustes mécanismes de gestion des talents rencontrent ce type de difficultés. Il y a là plusieurs raisons. L'une d'entre elles, qu'on rencontre plus souvent dans les grandes entreprises, c'est le fait que certaines personnalités trop effacées hésitent à se mettre en avant en dépit de leur talent et de la réussite dans leurs tâches. Elles sont donc éclipsées par des personnalités plus affirmées. Une autre raison est liée aux préjugés, conscients ou non, qu'on a parfois en discriminant les gens en fonction de l'âge, du sexe, de l'appartenance ethnique ou régionale. Souvent aussi, les managers ont tendance à promouvoir des personnes qui leur ressemblent, qui ont suivi le même itinéraire qu'eux, négligeant d'autres profils qui pourraient faire preuve de talents exceptionnels. Il est donc nécessaire de faire en sorte que les "radars" de l'entreprise soient plus fins et plus précis pour ne pas rater les talents qui volent au-dessous de l'horizon. Dans un article paru dans la revue McKinsey Quarterly de janvier 2017, ses auteurs proposent une approche originale qui augmente les chances de mettre au jour le potentiel de compétences internes dans l'entreprise (1). Utilisant une parabole tirée du langage de la marine, les auteurs proposent à cet égard trois solutions pratiques : "Chasser", "Pêcher", "Faire du chalutage". Ces solutions viennent compléter l'approche traditionnelle de gestion des hauts potentiels qu'ils nomment "Moissonnage" : identifier des "jeunes pousses", souvent nouvellement recrutées, et les appuyer par des programmes de formation lourds pour en faire des managers de haut vol. Schématiquement, "Chasser" consiste à déceler les collaborateurs qui habituellement ne figurent pas dans la shortlist des hauts potentiels et tester leurs aptitudes de leadership dans des missions challengeantes. "Pêcher" consiste à utiliser un appât sous forme de récompense pour les collaborateurs qui ont atteint des résultats exceptionnels, une façon pour eux de se révéler davantage. Quant au "Chalutage", il s'agit de ne pas se contenter de la seule appréciation de ses chefs mais de creuser plus profondément dans les structures pour recueillir les avis des collègues, actuels ou anciens, du collaborateur pour mieux connaître ses talents et ses capacités de leadership. Ironie de l'histoire, il y a une quinzaine d'années, le PDG évoqué plus haut était responsable d'une structure banale dans la même filiale. De caractère plutôt réservé, il fréquentait peu les "allées du pouvoir" du groupe. Ayant entendu parler de son parcours en tant que chef de projet, le patron du groupe, auprès duquel l'auteur de ces lignes intervenait alors comme coach, a demandé à ce dernier de l'interviewer pour apprécier ses talents de leader en vue de lui confier éventuellement des responsabilités managériales plus élevées. Depuis, en tant que PDG, ce responsable s'est révélé être un manager hors pair, faisant de cette filiale de loin la plus performante du groupe ! Comme quoi la chasse aux talents cachés est toujours payante. À condition de savoir les dénicher ! 1- Finding hidden leaders. K. Lane, A. Larmaraud, and E. Yueh. McKinsey Quarterly - January 2017.