"Si l'Algérie veut accélérer son industrialisation et ses exportations hors hydrocarbures, il est impératif qu'on permette aux entrepreneurs algériens d'acquérir des usines en difficulté en Europe et d'en créer d'autres en Algérie", a-t-il préconisé, convaincu que la colocalisation est un véritable accélérateur du développement industriel. Jamais l'auditorium du campus Hasnaoua de l'université Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou n'a drainé un nombre d'étudiants aussi important que celui enregistré hier, à l'occasion de la conférence animée par le P-DG du groupe Cevital, Issad Rebrab, sur le thème "La colocalisation : un moteur du développement". Pour expliquer le concept de la colocalisation aux 2 000 étudiants environ qui ont réussi à accéder à l'auditorium, Issad Rebrab s'est bien gardé d'aller par le chemin, pas trop évident, de la théorie. Il a plutôt choisi celui de cas concrets de réussite, puisés dans l'expérience même de son groupe : Cevital qui a propulsé l'Algérie, a-t-il souligné, de pays importateur à pays exportateur dans plusieurs domaines dont le sucre, l'huile, le verre plat et l'électroménager. "La colocalisation consiste en la localisation d'une même activité dans deux pays différents et c'est ce que nous avons fait en rachetant Oxxo, Brandt et le groupe sidérurgique en Italie avec comme objectif de mettre en place un levier pour créer de la croissance et des emplois ici en Algérie", a-t-il expliqué d'emblée non sans répondre, avec pédagogie, à ceux qui ne cessent de soutenir que son groupe s'est tourné vers l'investissement international au détriment de l'investissement national. "En rachetant Brandt, par exemple, nous avons maintenu 1 200 emplois en Europe mais nous avons pu en créer 3 000 en Algérie en délocalisant toute son activité hors France vers l'Algérie où on a créé une usine plus moderne", a rappelé le capitaine d'industrie. Et d'annoncer que d'ici à 2020, sa méga-usine de Sétif créera 7 500 emplois et produira 8 à 10 millions d'articles électroménagers, entre machines à laver, cuisinières, climatiseurs et téléviseurs, dont 90% seront destinés à l'exportation. Une usine, dit-il, intégrée à plus de 90% puisqu'elle produira jusqu'aux moteurs et turbines d'acier. "On n'aurait jamais pu faire cela si on n'avait pas racheté Brandt avec son réseau mondial de distribution, avec ses quatre marques les plus prestigieuses dans le monde et ses 1 300 brevets. Un projet qui a fait passer l'Algérie de statut de pays importateur à celui de pays exportateur. À partir de 2020, nous allons réaliser un chiffre d'affaires de 2 milliards de dollars rien qu'avec cette usine", a expliqué, optimiste, le patron de Cevital, avant de citer, dans le même sillage, le groupe sidérurgique racheté en 2015 en Italie. "Cela nous a permis d'acquérir le plus grand producteur de rails pour chemin de fer en Europe et d'aciers spéciaux pour l'industrie automobile. Nous avons également bénéficié d'un siècle d'expérience", a-t-il souligné avant de plaider ainsi à la libération des initiatives à l'international. "Si l'Algérie veut accélérer son industrialisation et ses exportations hors hydrocarbures, il est impératif qu'on permette à des entrepreneurs algériens d'aller acquérir des usines en difficulté en Europe et en créer d'autres en Algérie. Il n'y a pas de problème à s'imposer sur n'importe quel marché dans le monde, à la seule condition d'investir dans une industrie compétitive", a-t-il assuré, convaincu que la colocalisation est un véritable accélérateur du développement industriel. "Mendier pour créer des richesses..." Interrogé sur les facilités accordées dans le développement de son groupe à l'international et celles offertes au niveau national, Issad Rebrab répondra tout simplement que "ce sont deux mondes différents". "À l'international, l'on recherche à créer de la richesse et de l'emploi, et quand vous pouvez le faire, toutes les facilités vous sont accordées, alors que chez nous, malheureusement, il faut mendier un terrain et une autorisation pour créer de la richesse et de l'emploi", a-t-il déploré, non sans rappeler qu'au Brésil, trois sites pour réaliser trois grands ports ainsi que 1 000 hectares lui ont été cédés au dollar symbolique après une visite de représentants des autorités brésiliennes à l'usine Cevital à Béjaïa. Alors qu'en Algérie, rien que tout récemment, le DG du port de Béjaïa lui a refusé, a-t-il révélé, la réception d'un bateau d'équipements destinés à la finalisation de la raffinerie d'huile qui devait créer plus d'un millier d'emplois et donner lieu à l'exploitation de 3 millions d'hectares en jachère pour développer la culture de graines oléagineuses. Issad Rebrab n'a pas manqué de rappeler l'épisode du financement du rachat de Brandt lorsque la banque d'Algérie lui avait refusé le transfert de ses devises et que c'était une banque française qui était venue à la rescousse. Et de souligner qu'aujourd'hui, le projet profite beaucoup plus à l'Algérie. Interrogé sur les raisons qui l'auraient empêché d'investir plus dans la région de Tizi Ouzou, le patron du plus grand groupe privé algérien a expliqué avoir demandé aux autorités de la wilaya un terrain pour implanter une activité qui aurait créé 3 000 emplois. En vain. À un intervenant qui a fait part de la disposition de citoyens de lui céder 93 ha, Rebrab saisit l'occasion pour annoncer qu'il est prêt à implanter une usine Oxxo dans la région si 20 ha seulement lui sont cédés. À la même occasion, Issad Rebrab s'est engagé à recruter les majors de promotion des universités de Tizi Ouzou et de Béjaïa et à signer un contrat pour travailler en collaboration avec l'université. "Si on veut rester dans la course, il faut accompagner les marathoniens. On ne peut former d'athlètes sans compétition, ni jouer sur le terrain des multinationales lorsqu'on n'investit pas dans les dernières technologies", a-t-il déclaré. Samir LESLOUS