Malgré mon enclin naturel à l'optimisme, la lucidité et le réalisme me poussent vers le pessimisme en ce qui concerne les tendances en 2003. En dépit des immenses ressources disponibles dans le pays, la population algérienne vit de plus en plus dans la pauvreté. Il est plus juste de parler d'appauvrissement. Malheureusement, rien n'indique un renversement de situation en 2003. Dans l'enchaînement des jours, le 1er janvier n'est différent ni du 31 décembre ni du 1er février, mais parce qu'on en a fait un indice de référence pour compter les années, il est devenu un symbole et une occasion pour s'interroger sur l'avenir de l'humanité, en général, et celui de son peuple, en particulier. Il y a bien sûr le conformisme qui veut que l'on soit très bien dans la fonction et céder au protocole y afférent pour dire : tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ! À côté de cela, il y a la lucidité qui vous impose de dire la vérité, rien que la vérité, et de vous placer du côté de ceux qui “ne craindront le blâme d'aucun censeur” (Coran, 5-54). En ce qui concerne l'environnement national, on peut affirmer que l'Etat algérien fait face à quatre crises très graves, comme j'ai eu à le signaler à une occasion précédente. — La crise culturelle qui se manifeste par la violence dans les formes de revendications et la répression conduisant à une situation de quasi-désobéissance dans la région de Kabylie, et un affaiblissement marqué des institutions de l'Etat. — La crise sécuritaire qui se manifeste par un terrorisme aveugle qui frappe les franges de populations les plus démunies et les plus vulnérables et qui est vécue comme une humiliation par tous les citoyens de ce pays. — La crise économique et sociale qui se manifeste par l'augmentation de la pauvreté, l'accroissement de l'inégalité, l'enrichissement illicite et qui a ravagé les classes moyennes avec tout ce que cela comporte comme menaces pour l'avenir. — La crise politique qui se manifeste par le blocage des institutions de l'Etat, les luttes de clans, l'image à l'étranger d'un pays et d'un peuple pris entre “la tenaille du terrorisme et les clans du pouvoir et de la corruption”. La situation est très inquiétante, parce que nous assistons aux manifestations simultanées de ces quatre crises dans un environnement complexe, aussi bien au niveau national qu'au niveau international. Essayons d'analyser les tendances en 2003 à partir de l'étude de la crise économique et sociale. Comment se présente la situation économique ? I - Les hydrocarbures : les prévisions donnent l'augmentation de la capacité de production de pétrole de son niveau actuel de 0,800 million de barils/jour à 1,5 million b/j en 2004-2005, ainsi que l'augmentation des exportations de gaz à 60 ou 75 milliards de m3/an. C'est une augmentation notable en volume, presque le doublement, alors qu'aujourd'hui, il y a déjà un fort excédent de la balance commerciale ! Mais au lieu de s'occuper à concentrer Sonatrach sur ses métiers de base en éliminant les activités non stratégiques ou non profitables, à restructurer l'organisation, à développer les ressources humaines pour en faire une entreprise compétitive au niveau international, on se lance dans un débat inutile sur un projet de loi hypothétique, avec tout ce que cela aura pour conséquences sur le moral des cadres de l'entreprise et de retard dans la réalisation de la restructuration. D'autant plus que l'on accepte de baisser notre quota à l'OPEP au moment même où on a un plan d'augmentation sensible de la production. Tout annonce que 2003 sera pire que 2002 dans ce secteur. II - Il y a la possibilité de diversification des exportations, pas pour des besoins de balance des paiements, mais pour dépasser la contradiction : absorption — “trappe de stabilisation permanente” . Il y a, donc, la possibilité d'accroître l'offre pour répondre à une demande à l'extérieur du pays dans les secteurs du tourisme, de l'agriculture, de l'industrie et des infrastructures. L'Europe importe chaque jour pour un milliard US$ de produits agricoles. III - La stabilisation macroéconomique est solidement assurée avec une balance des paiements très viable, la plus viable de la région : excédent de la balance commerciale, excédent de la balance du compte courant, niveau de réserves de presque deux années d'importation de marchandises, flux financiers positifs en direction du reste du monde, épargne budgétaire importante, inflation maîtrisée. IV - Les partenaires étrangers placent l'Algérie au premier rang en ce qui concerne les ressources, le marché et la capacité d'assurer le leadership dans une intégration régionale. Donc, l'Algérie est première en ce qui concerne le potentiel même si elle est dernière sur sept autres critères que je qualifie de conjoncturels relevant des lourdeurs bureaucratiques notamment. V - Il y a une population émigrée qui dispose d'actifs financiers dans les pays d'accueil puisque le transfert de l'épargne des émigrés est quasiment négligeable, donc recyclé dans les pays d'accueil. VI - Il y a une aubaine démographique grâce à un fort accroissement de la population active au moment où cette catégorie de la population connaît une baisse dramatique en Europe. À partir de là, il apparaît clairement que les obstacles au succès ne sont ni d'ordre géographique, ni d'ordre structurel, ni du domaine des dotations en ressources aussi bien humaines que naturelles. Ces obstacles sont plus d'ordre politique, donc capables d'être dépassés très rapidement lorsque le problème politique est réglé. Autrement dit, le pessimisme ou l'optimisme sur l'avenir de l'Algérie s'adresse, en vérité, à notre capacité d'achever la transition politique vers le multipartisme et la démocratie entamée depuis 1989 ! D'où la nécessité de disposer de points de repère dans un contexte international nouveau et de procéder à une analyse des valeurs et attitudes de la nation, des évolutions possibles et des stratégies des principaux acteurs par une étude qui permette : (a) d'analyser une situation extrêmement floue en cherchant à dégager les tendances à très long terme, (b) proposer une liste de questions-clés pour l'avenir de l'Algérie, (c) établir la distinction, capitale sur le plan stratégique, entre les questions sur lesquelles on peut avoir une influence et celles sur lesquelles on doit se contenter d'essayer de s'adapter, (d) dresser un tableau de l'état moral de la nation et des perspectives d'avenir, en particulier préciser les traits caractéristiques de l'époque et la façon dont la crise est vécue. Alors, l'année 2003, qui semble vouée à la régression dans tous les domaines, serait mise à profit pour préparer les conditions d'un sérieux décollage de l'Algérie en 2004. C'est ce à quoi doivent s'atteler toutes celles et tous ceux qui n'ont pas et qui ne veulent pas d'un pays de rechange ; celles et ceux qui placent leur avenir et celui de leurs enfants dans ce pays. Cette modeste contribution hebdomadaire se veut un sentier dans la voie du redressement de l'Algérie. C'est très possible, il suffit d'y croire et d'y contribuer. “Rien ne changera dans la condition d'un peuple avant que celui-ci n'ait auparavant changé sa manière d'être.”( Coran, 13-11). À jeudi prochain pour une autre question. Entre-temps, travaillons tous et toutes à élargir la base du dialogue sur l'avenir de l'Algérie. A. B.