Curiosité et ironie du sort, cette année, le 8 mai coïncide avec les élections législatives en Algérie et présidentielles en France. Les Algériens se sont vus proposer 12 000 candidats de 63 partis pour les législatives, les Français quant à eux, se sont vus proposer un anti-vote entre une candidate qui leur fait globalement peur, et un autre qui « rassemble les espoirs». Une semaine pléthorique pour les deux pays qui finit par l'élection d'Emmanuel Macron à la présidence de la République française. Il y a 72 ans jour pour jour, soit le mardi 8 mai 1945, la France en liesse fête la fin du nazisme, une manifestation tourne au drame. A l'appel du PPA (Parti du peuple algérien), tirailleurs algériens à peine rentrés chez eux et population veulent rendre hommage aux leurs, tombés durant la Seconde Guerre mondiale. Dans le cortège, parmi les drapeaux alliés et français, pointent des drapeaux algériens. Ordre est donné de tirer sur leurs porteurs. A Sétif, Guelma et Kherrata, la répression se poursuit pendant des semaines, faisant des dizaines de milliers de morts. La France a lâché l'Algérie, les hauts dirigeants de l'époque, n'avaient pas tenu leur promesse de rendre son indépendance à l'Algérie si les Algériens acceptaient de s'engager avec les Alliés contre l'Allemagne Nazie, mais la France se contenta d'assouvir ses intérêts. Paradoxalement, certains Algériens croient toujours aux promesses des dirigeants français ! Les gens massacrés ne l'étaient pas pour diversité d'avis, mais à cause d'un idéal. La liberté. Ailleurs, il fut célébré dans les interstices de la capitulation de l'état-major allemand la fin de la Seconde Guerre mondiale, où pourtant 150.000 Algériens s'étaient engagés dans l'armée aux côtés de de Gaulle. Ce fut la fin d'une guerre. Cela pour les Européens. Mais pour d'autres, en Algérie, ce fut la fête dans l'atrocité d'une colonisation et d'un impérialisme qui ne venait en ce 8 mai qu'annoncer le plan de redressement des volontés farouches et éprises de ce saut libertaire. Un siècle et demi plus tard, la « mission civilisatrice » Il y a 130 ans, la France est venue, sous prétexte de « Reconquista », plonger le pays dans un siècle et demi de malheurs, voulant prendre, en se justifiant, en vain, ce qui ne lui a jamais appartenu. Des années après l'indépendance de l'Algérie, on se demande encore si les maux de l'Algérie viennent de ceux qui l'ont envahie et profité de ses richesses, de ceux qui ont récupéré sa révolution ou de ceux qui, sous peine d'argument électoral, veulent réécrire l'histoire en tentant de justifier l'injustifiable. C'est dire qu'après deux siècles de la révolution française, certains n'ont encore rien compris à la liberté et ont oublié que chaque révolution naît pour conquérir la liberté et non pour prendre, de force, ce qui ne nous appartient pas. Ainsi, auprès de l'opinion publique française et européenne, a-t-on souvent justifié et légitimé pendant plus d'un siècle la conquête de l'Algérie. Mais la défense et la promotion de la « mission civilisatrice » coloniale ne fut pas le seul apanage des colons, militaires et politiciens à l'époque, elle l'est autant pour quelques-uns aujourd'hui et il ne s'agit pas seulement de Marine Le Pen mais de tous ceux qui pensent comme elle et lui ont donné leurs « voix ». Mais dans le concert général des louanges et de la ferveur patriotique en France, s'élèvent, toutefois, quelques voix dissonantes. A l'époque, la voix éloquente d'Alphonse Lamartine s'est élevée à travers un discours donné à la séance du 10 juin 1846 à la chambre des députés, dans lequel il déplora les abus du gouvernement militaire en général et la politique de la terre brûlée pratiquée par Bugeaud en particulier, ainsi que les nombreuses et injustifiables souffrances et humiliations du peuple algérien. « C'est cette autorité militaire qui a adopté pour l'expulsion, le refoulement des Indigènes, ce mot que je rougis de prononcer à cette tribune, comme la France a si souvent rougi de l'entendre et de le voir se signaler dans ses actes, les razzias (M.Lamunière, 793). Aujourd'hui, d'autres voix dissonantes rougissent à l'instar de celle de Macron qui, en voyage en Algérie, au début de sa campagne, avait qualifié la colonisation de « crime », de « crime contre l'humanité » et de « vraie barbarie». « La colonisation fait partie de l'histoire française (...). Ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face en présentant aussi nos excuses à l'égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes », a-t-il dit au cours d'une interview accordée à une chaîne locale. A contrario, d'autres voix, qui ne font pas rougir les autres, continuent de résonner. Elles appellent à dresser un mur contre l'immigration et à s'auto-féliciter de la « mission civilisatrice coloniale ». Du côté algérien, le silence est maître-mot, aucun politicien, journaliste ou responsable n'a appelé solennellement la France à reconnaître ses crimes. En France, certains comme JP Raffarin, pensent que, évoquer le sujet de la colonisation c'est ressortir des histoires pour diviser, pour remobiliser et que cela ne sert à rien d' « agiter des cicatrices qui sont encore très douloureuses », ce qui est dépourvu toute morale car on ne peut se permettre de rêver d'une France insoumise quand on accepte la soumission des autres et qu'on refuse de se réconcilier avec son passé. Pourtant, cette France qui a voulu se surpasser aux dépends d'une Algérie fébrile, n'a pas remporté son pari. Quelle fierté y a-t-il à devoir choisir entre ce que l'on méprise et ce que l'on appréhende ? N'est-ce pas une honte pour la France des siècles après la révolution de 1789 de voir le Front National de l'extrême droite en course vers l'Elysée, passer en second tour ? Et ce n'est pas seulement aux dirigeants français qu'il faut en vouloir car, si la France coloniale a assassiné nos martyrs, notre régime lui, les a tués une énième fois avec son fiasco électoral et sa lâcheté politique. Si l'on se dit soucieux du sort de l'Algérie, noyée dans l'insécurité politique, sous le règne d'un président fébrile et d'un clan mafieux, trop attaché au pouvoir. On devrait l'être autant, pour la République Française qui n'a gardé de République que le nom en faisant table rase sur ses valeurs morales, qui, jadis, la distinguaient. Le gouffre identitaire qui guette la France ne fera que se creuser davantage car nous assistons à une phase de l'histoire où les Français ne savent plus qui ils sont réellement ni ce qu'ils veulent. Toute chose étant égale par ailleurs pour l'Algérie. Cela étant, il faut reconnaître qu'il y a un brin d'espoir qui émane des dernières législatives algériennes, le message du peuple qui a « fait entendre sa voix » par l'abstention représente un message fort. Un silence assourdissant qui ridiculise des quidams assoiffés de pouvoir. Et une lueur d'espoir du côté français aussi qui « malgré tout » n'a pas laissé passer l'abîme. « Contrat social rompu» Dans leur quotidien, dans leurs coups de gueule et dans leur dégoût les Algériens, comme les Français, ont dit non à leur façon. Et cela ne choque pas car, comme le veut la loi du contrat psychologique, lorsque les promesses ne sont pas respectées entre deux parties, essentiellement par la partie qui gouverne, il y a rupture de ce contrat et donc, déception totale de la partie gouvernée. La rupture, elle, s'est faite depuis belle lurette entre les Algériens et ceux qui les ont exploité, malgré eux, dans un concert général de langue de bois et de théorie du complot de « la peste ou le choléra ». En réalité, c'est le contrat social qui est rompu, tant en France qu'en Algérie. Et il faudra attendre, au moins deux générations, pour le voir renouvelé. Des deux côtés de la méditerranée, les hommes devraient revoir leurs priorités et leurs valeurs et leurs sociétés devraient faire en sorte d'identifier leurs maux et les guérir. Oui, la France et l'Algérie ont besoin de rêver et de croire au monde idéaliste de Platon car pour avancer, il faut avoir la force de rêver. Mais avant de reconstruire et de « passer à autre chose », il est essentiel de se réconcilier avec son passé et de reconnaître ses erreurs. Comment oublier que la France coloniale qui a réaffirmé son pouvoir dans le sang a assassiné 45.000 Algériens en un seul jour ? Moi je n'oublie pas. La France doit avoir le courage de reconnaitre ses crimes et l'Algérie quant à elle, doit avoir le courage de laisser rêver ses enfants. Ab absurdo, les promesses dorées de Macron et de son prédécesseur de reconnaître les crimes commis restent chimère. En Algérie, tant que le pouvoir corrompu et lâche étendra son mandat et fera la sourde oreille devant la volonté du peuple, les crimes ne seront pas reconnus. Mounira ELBOUTI Blogueuse à la Rédaction Numérique de "Liberté"