Le musée de l'Académie militaire de Cherchell vient d'être baptisé du nom du “colonel Mohammedi Saïd”. Et comme le musée en question, en plus d'être un musée de l'ANP, se veut un musée de la mémoire, nul doute que le choix de la désignation renvoie à la conception la plus officielle du souvenir national. Et si le nom de Mohammedi a été choisi pour définir le musée de l'Académie militaire, haut lieu de la formation de la conscience patriotique, il serait donc utile de rapporter quelques éléments du parcours du défunt Mohammedi Saïd afin de dresser les contours de notre représentation de la mémoire collective. Le colonel Si Nacer avait commandé la Wilaya III avant d'être remplacé par le colonel Amirouche, en 1957, et de partir rejoindre la direction de la Révolution en Tunisie. C'est sous son commandement régional que fut commis ce que Pierre Vidal-Naquet appelle “le crime majeur” du FLN, “l'extermination de la population de la mechta Kasbah (Melouza) dans la nuit du 19 au 20 mai 1957” (P. Vidal-Naquet, La Raison d'Etat, préface à l'édition 2002). Pendant la Seconde Guerre mondiale, Mohammedi Saïd avait volontairement gagné Berlin pour s'engager dans l'armée nazie. À son retour, il fut condamné à mort comme agent SS, puis libéré en 1946. À l'Indépendance, il entre le 22 juillet 1962 au BP du FLN de Ben Bella, puis devient vice-président du Conseil de gouvernement en 1963. Après une longue traversée du désert, Mohammedi Saïd réapparaît, en 1989, comme membre fondateur et membre de la direction du Front islamique du salut. On notera qu'il faisait, notamment, partie de la direction du FIS signataire de la fameuse “Déclaration en vingt-deux points”, considérée comme le coup d'envoi de l'offensive terroriste et la déclaration de guerre du terrorisme islamiste contre l'Etat. Mohammedi Saïd est décédé en 1994 dans un relatif anonymat. L'offensive pour sa réhabilitation date de l'année dernière : le 31 mars 2004, le président Bouteflika, en campagne électorale à Tizi Ouzou, avait rendu hommage aux héros de la région en citant “Mohand Oulhadj, Slimane Amirat et… Mohammedi Saïd”, donnant un avant-goût “de sa vision de la réconciliation nationale” (Liberté du 1er avril 2004). Quelques mois plus tard, le 4 décembre, l'association El Michaâl organise, au forum d'El Moudjahid, autour de Abdelhamid Mehri une conférence de justification du passé nazi de Mohammedi Saïd (l'ennemi de mon ennemi est mon ami !). Etant entendu, pour El Michaâl et ses invités, que son passé islamiste n'avait pas à être légitimé. Telle est schématiquement résumée la personnalité de celui qui, dans l'établissement de prestige de l'institution militaire, évoquera le devoir de mémoire à nos futurs officiers. Quand on connaît le rôle qui fut celui de l'ANP dans la sauvegarde de l'Etat national et celui des fondateurs et dirigeants du FIS dans sa remise en cause, le fait se passe de commentaire. Il paraît que c'est le prix de l'amnistie et que l'amnistie est le prix de la paix. Peut-être faut-il ainsi blesser la mémoire pour mieux la contraindre à oublier. Il ne nous reste alors que le droit de nous émouvoir. M. H.