Résumé : À l'âge de 6 ans, Tahar renoue avec le monde extérieur. Sa surdité prend fin, et il entend quelques bruits qui l'effrayent. Sa mère comprend enfin qu'il a recouvré le sens de l'ouïe, et pour s'en assurer, elle tente de faire quelques expériences. Les sons étaient différents, et moi je tentais de comprendre chaque tonalité. Ma mère demeure figée de stupéfaction. De longues larmes ruisselaient sur son visage. Puis, se reprenant, elle se met à pousser des youyous. Ce qui ameuta tout notre entourage. Ma grand-mère et mes tantes accourent, puis les voisines et les cousines qui travaillaient sur le métier à tisser. Tout le monde voulait connaître les raisons de ces cris de joie. Ma pauvre mère pleurait et riait en même temps. Elle ne savait plus par quel bout commencer pour exprimer sa joie et expliquer en même temps que j'avais recouvré mon sens auditif. Enfin, ma grand-mère s'approche de moi et fait jouer les graines de son chapelet à mon oreille. Je me retourne alors et le lui arrache des mains pour en égrener les graines une à une. Cela m'amusa, et je ne voulus pas m'arrêter. Ma mère put enfin prononcer quelques mots pour démontrer que son fils n'était plus ce sourd, et que désormais on ne devrait plus la désigner sous le sobriquet de la mère du sourd ! Quelques semaines plus tard, ce sera au tour de mon oreille gauche de se manifester. Mais cette fois-ci, étant déjà habitué aux différents bruits qui m'entouraient, cela ne m'effraya point. Bien au contraire, je constatais que je pouvais assimiler les sons et les distinguer sans trop d'effort. J'étais enfin guéri de la malédiction de mes tantes. Cette année-là, mon père rentre de France pour passer quelques jours au bled. Il était heureux d'apprendre que je n'étais plus affublé de cette tare qui pesait sur lui et sur la famille. Comme j'avais l'esprit vif, je commençais à parler et à prononcer quelques mots que ma mère, avec sa patience légendaire, s'ingéniait à m'inculquer. Mon paternel décide alors de m'inscrire à l'école du village. Un peu hésitante, et appréhendant la réaction des élèves envers un enfant qui rejoint l'école tardivement, ma mère finira par passer sous le joug. Elle m'habillera de neuf et mettra le chapelet de ma grand-mère dans mon cartable pour me protéger des mauvaises intentions. Mon père et mon grand-père m'accompagnèrent jusqu'au portail de l'établissement et s'entretinrent longuement avec le directeur, qui, en fin de compte, passe une main caressante sur ma chevelure et me somme de le suivre à l'intérieur de l'école. Un monde nouveau s'ouvre devant moi. Non seulement, je n'eus aucun mal à apprendre à parler correctement dans les mois qui suivirent, et à une telle rapidité que les autres enfants n'eurent plus de raison de m'isoler de leurs jeux et de leurs compétitions sportives, mais je devins aussi un élève assidu, qui faisait le bonheur et la fierté de ses enseignants. Ces derniers me prenaient en exemple pour expliquer que seuls le courage, la volonté et l'abnégation étaient la clef de la réussite. Ma mère ira jusqu'à offrir une waâda au saint du village, et, depuis, ne tente plus de se cacher ou de s'écarter du reste de la famille. N'était-elle pas celle par qui le miracle est arrivé ? Dieu avait récompensé sa patience et exaucé ses prières. Maintenant, on la regardait avec respect et crainte ! Encore mieux, l'année d'après, elle donnera naissance à un second garçon. (À suivre) Y. H.