Pestiféré hier, adulé aujourd'hui Voila comment Kerbadj est revenu en force Mardi 16 mai, emmitouflé dans son costume très tendance, toujours tiré à quatre épingles, Mahfoud Kerbadj s'apprête à vivre ces dernières heures à la tête de la Ligue du football professionnel. Dans son bureau de PDG à l'Imprimerie officielle d'Alger, il répète à satiété à ses interlocuteurs qu'il ne reviendra surtout pas sur sa décision de démissionner de son poste à la tête de la LFP, bien qu'il ait été élu pour un autre mandat en juin 2016, après avoir été plébiscité une première fois en 2011. "Je ne les laisserai pas me faire sortir par la petite porte, ils veulent que je parte, alors je m'en vais, mon statut de haut commis de l'Etat ne me permet pas de jouer dans cette cour de petits ingrats. Croyez-moi, je ne reviendrai pas dans ce milieu pourri", confiait-il à ses proches sur un ton amer mais décidé. Même son de cloche avec les nombreux journalistes qui le sollicitaient ce jour-là, histoire de vérifier si l'homme de 64 ans tenait encore à sa parole de rendre le tablier. Les dernières sollicitations des présidents de club de lui faire changer d'avis, Omar Ghrib et Mohand Cherif Hannachi notamment, qui faisaient circuler déjà une motion de soutien en sa faveur, n'ont pas eu raison de la détermination de "tout laisser tomber" pour l'homme longiligne et amaigri, l'un des responsables rescapés de l'ère Raouraoua. "Je pars la conscience tranquille et avec le sentiment du devoir accompli, SVP, laissez-moi partir, je n'en peux plus", répète-t-il une dernière fois à un président de club, venu tenter une dernière fois de le dissuader de démissionner. Le sort est scellé, Kerbadj est bel et bien partant. Soudain, dans la soirée, le téléphone de Kerbadj retentit. Au bout du fil, le vice-président de la FAF, Rebouh Haddad. "Bonsoir Mahfoud, il paraît que tu veux partir de la LFP, je tenais à te dire que je ne suis pas d'accord, moi je veux que tu restes, tu es le seul capable de gérer cette ligue surtout que nous avons une nouvelle direction à la FAF", murmure Rebouh entre autres à l'oreille d'un Kerbadj perplexe et déboussolé par une telle confession, alors qu'il avait la certitude que le président de la FAF, Kheireddine Zetchi, ne voulait plus de lui. Le coup de fil d'Ould Ali El-Hadi D'ailleurs, le nouveau patron de la FAF ne s'en est jamais caché. Le fait d'avoir du reste envoyé Hacen Hamar pour pousser Kerbadj à démissionner en est la meilleure preuve. "Désolé, Rebouh, mais moi je ne peux pas travailler avec celui que vous avez ramené à la tête de la FAF, il ne veut pas de moi, et moi je ne suis pas demandeur, j'ai d'autres responsabilités à assumer", répond Kerbadj à son interlocuteur, avant que ce dernier ne renchérisse sur un ton sûr : "Tout va s'arranger, ne t'inquiète pas, tu vas recevoir un coup de fil de la part de dawla (le pouvoir, ndlr) pour te rassurer." Groggy par un tel revirement de situation, Kerbadj a du mal à trouver le sommeil. Il cogite pendant de longues heures, mais le coup de fil promis par Rebouh tarde à venir. Le lendemain à 8h00 tapantes, le téléphone de Kerbadj vibre de nouveau. À l'autre bout du fil, le ministre de la Jeunesse et des Sports, Ould Ali El-Hadi himself. "Bonjour Mahfoud, tu ne dois pas partir, tu as tout mon soutien, tu dois honorer ton mandat jusqu'à la fin, nous avons besoin de toi pour gérer ce championnat", souligne le patron du MJS à l'adresse d'un Kerbadj toute ouïe. "Mais je ne peux pas travailler avec Zetchi, il ne veut pas de moi", répond le président de la LFP, ce à quoi rétorque sèchement Ould Ali El-Hadi : "Pas de soucis, j'ai déjà parlé avec Zetchi, il ne s'immiscera plus dans ton travail, je l'ai averti à ce sujet." Revigoré par un tel soutien de poids, Kerbadj décide dès lors de changer d'avis. Le parrainage politique reste très important dans un pays encore en proie à un dirigisme flagrant. "Je ne peux pas dire non aux pouvoirs publics, je suis un commis de l'Etat toujours aussi avide de servir mon pays", confie-t-il.
Des présidents de club en ventriloques Quelques heures plus tard, le passage devant l'AGEX de la LFP constituera une simple formalité. Les présidents de club insistent pour qu'ils restent sous l'impulsion des "ventriloques" du MJS. Kerbadj fait mine de vouloir partir, mais il se ravisera rapidement dans une comédie parfaitement maîtrisée. Dans la foulée, il assénera ses banderilles à l'adresse de Zetchi comme pour se rassurer lui-même. "Je reste, car le MJS veut que je reste, mais les choses doivent changer, la FAF ne doit plus s'immiscer dans le travail de la LFP, il faut revoir la convention signée entre les deux parties. Nous devons avoir un droit de regard sur l'arbitrage", martèle-t-il dans une volonté manifeste de miner son seul adversaire du jour, le président de la FAF. Pourquoi donc un tel revirement de situation au moment où on pensait que les pouvoirs publics voulaient en finir avec l'ère Raouraoua ? "Je pense que l'intronisation de Zetchi et ses deux premiers mois à la tête de la FAF n'ont pas été rassurants, d'où d'ailleurs ce coup de froid dans les relations entre Zetchi et le MJS. Alors, les pouvoirs publics ont préféré privilégier le statu quo au lieu de confier la ligue à un autre responsable et courir le risque de nouveaux scandales dans le championnat. Ils se sont dits carrément, cela n'a pas été rassurant avec Zetchi, alors autant ne pas envenimer les choses en attendant de régler la question de la FAF", analyse un observateur du football algérien qui n'exclut pas du reste des changements à la tête de la FAF, si Zetchi ne prend pas les choses en main, notamment en ce qui concerne les réformes promises. S. L. Lire le dossier