L'empêchement du débarquement des équipements importés par Cevital va à l'encontre de l'esprit et de la lettre du dernier message du chef de l'Etat. Il en dit long sur les raisons de la crise : elles résident dans cette attitude de certains donneurs d'ordre qui ne placent pas l'intérêt du pays au-dessus des considérations personnelles ou claniques. Le scandale des équipements de Cevital empêchés de déchargement au port de Béjaïa ne semble pas connaître son épilogue. Le bras de fer continue entre Cevital et le port de Béjaïa, puisque, pour la deuxième fois depuis le début de l'année, un navire transportant des équipements industriels importés par le premier groupe privé algérien a été refoulé du port de Béjaïa. Ces équipements étaient destinés à l'usine de trituration de graines oléagineuses du groupe. Le navire, attendu au port le 18 mai, a été interdit d'accoster, l'obligeant même à rester en dehors des eaux territoriales. Devant l'entêtement de la direction du port de Béjaïa, le groupe Cevital, qui voulait introduire un référée d'heure à heure auprès de la justice, s'est vu éconduit par cette dernière, laquelle a jugé que l'affaire n'avait pas un caractère urgent. Pourtant, la situation engendre des frais inutiles de l'ordre de 25 000 euros de surestaries par jour. Dans une correspondance datée du 7 mai, le directeur de la capitainerie use du même argumentaire que celui avancé pour le premier navire Tian Le, pour justifier le refus de faire l'accostage du navire, à savoir une supposée "absence des autorisations requises" à la réalisation de cette unité. "La question de l'accostage et de transit de tous les navires transportant ce type de cargaison est définitivement tranchée par un refus catégorique de l'entreprise portuaire de Béjaïa jusqu'à présentation par Cevital de toutes les autorisations y afférentes, de leur lieu de destination, délivrées par les pouvoirs publics", écrit le directeur de la capitainerie. En réponse à cette correspondance, le directeur général exécutif de Cevital, Saïd Benikene, a adressé un courrier à la direction de l'EPB, en date du 15 mai, dans lequel il réfute l'argumentaire présenté par le port de Béjaïa. Dans ce courrier, le groupe Cevital souligne avec force arguments que la direction du port de Béjaïa "demande la présentation d'autorisations afférentes à une cargaison de matériel de trituration de graines oléagineuses, sans donner aucune base juridique pouvant soutenir sa position". Suite à quoi, le groupe demande à l'autorité portuaire de préciser le texte exigeant une autorisation pour débarquer un matériel de trituration de graines oléagineuses. Par ailleurs, et concernant le lieu de destination de la cargaison, le groupe confirme à l'EPB que "la cargaison en question, une fois débarquée, sortira immédiatement du port et donc ne séjournera pas dans l'enceinte portuaire, seule chose pouvant importer à une entreprise portuaire, puisqu'au-delà de la délimitation légale et réglementaire du port, une entreprise portuaire n'a pas la compétence territoriale et juridique pour régir et prendre des décisions concernant des marchandises situées hors de son périmètre d'intervention". Pour finir, le directeur général exécutif de Cevital précise que "l'essentiel est que tous les renseignements d'usage et légaux relatifs au navire et à la cargaison vous ont été donnés pour vous permettre d'attribuer le quai adéquat au navire afin d'accoster". La direction du port n'a pas tardé à réagir puisque dès le lendemain, soit le 16 mai, elle adresse un courrier au groupe Cevital, dans lequel elle réitère sa position, sans opposer le moindre argument à son vis-à-vis. Les blocages avérés que vit le groupe Cevital avec cette affaire constituent une première dans les annales de l'industrie algérienne et relèvent, sans aucun doute, d'une volonté d'empêcher l'aboutissement d'un projet d'investissement ayant pourtant été préalablement autorisé par l'Andi. Et cela ne va pas sans nuire de manière grave et flagrante à l'économie algérienne. Une fois réalisée, en effet, l'unité de trituration permettra à l'Algérie de s'autosuffire en matière d'huiles brutes qu'elle importe actuellement à 100%. En sus, plus d'un millier d'emplois en sont attendus, et la mise en route de l'usine donnera lieu à l'exploitation de 3 millions d'hectares en jachère pour développer la culture de graines oléagineuses. L'Algérie qui traverse une crise qui menace de se corser donne pourtant l'impression, à en juger par le discours officiel, d'avoir compris que la diversification de l'économie et la sortie de la rente pétrolière étaient tributaires de l'investissement. Ainsi, dans son dernier message, à l'occasion du 19 mai, le président de la République a appelé les chefs d'entreprise à se mobiliser davantage pour renforcer les investissements dans tous les secteurs, assurant que l'Etat est déterminé à "accompagner la promotion de l'investissement national". Le défi, selon lui, "exige du patronat local de se mobiliser, aujourd'hui plus que jamais, pour accroître l'investissement dans tous les secteurs et le déployer, ainsi, à travers tout le territoire national", a insisté M. Bouteflika. Reste qu'entre le discours du Président et la réalité du terrain, le fossé est large, trop large. Le chef de l'Etat a également appelé l'élite du pays, dans le même message, à "expliquer les raisons de la crise" et à "réfléchir aux moyens et solutions de s'en sortir". L'empêchement du débarquement des équipements importés par Cevital, qui va à l'encontre de l'esprit et de la lettre du message du chef de l'Etat, en dit déjà long sur les raisons de la crise : elles résident dans cette attitude de certains donneurs d'ordres qui ne placent pas l'intérêt du pays au-dessus des considérations personnelles ou claniques. Quant aux réponses qu'appelle la crise, l'une d'elles, sans doute la toute première, devrait consister à lever les blocages illégaux et autres obstacles injustifiés sur lesquels buttent les efforts et les initiatives des investisseurs. Saïd Smati