Cela ressemble, à s'y méprendre, à certains égards, au cafouillage qui a accompagné en mai 2015 la nomination de Ramtane Lamamra et d'Abdelkader Messahel au même département des Affaires étrangères, scindé alors en deux entités. Le fait, inédit, est gravissime et écorne davantage l'image, déjà largement souillée, du fonctionnement des institutions de la République : le tout jeune ministre du Tourisme et de l'Artisanat, Messaoud Benagoun, a été démis, hier, de ses fonctions, deux jours seulement après sa nomination. La présidence de la République qui a annoncé le limogeage n'a pas fourni d'explications, ni de détails sur les raisons de ce spectaculaire limogeage digne des mœurs de la cour du roi Pétaud. "Conformément aux dispositions de l'article 93 de la Constitution et sur proposition de M. Abdelmadjid Tebboune, Premier ministre, Son Excellence M. Abdelaziz Bouteflika, président de la République, a démis, ce jour, M. Messaoud Benagoun de ses fonctions de ministre du Tourisme et de l'Artisanat", a indiqué laconiquement la présidence de la République. Seule indication rappelée par l'agence officielle, loin sans doute d'être fortuite : le malheureux récipiendaire est membre du parti populaire algérien (MPA) d'Amara Benyounès et a postulé au poste de député lors des dernières législatives dans sa circonscription à Batna, en tête de liste du parti, mais sans être élu. Selon le président du MSP, Abderrezak Makri, qui a réagi promptement sur son compte facebook, le ministre éphémère a été démis en raison de "scandales personnels". Ces "scandales" ne sont autres que des "antécédents judicaires". Plusieurs sources, en effet, affirmaient hier que celui qui était présenté comme cadre au MPA a été condamné à quatre reprises dont une à six ans de prison ferme. Ancien animateur de l'Union nationale des étudiants algériens (Unea), organisation estudiantine proche du FLN, Messaoud Benagoun a, à son tableau de chasse, une participation active à la bataille que se livraient, à la veille du second mandat, les partisans de Benflis et les redresseurs. Il serait impliqué dans plusieurs affaires du temps où il résidait à la cité universitaire de Dely Ibrahim. Et c'est la DGSN qui aurait alerté la présidence de la République sur le "dossier et le parcours" de celui qui a vite gravi les échelons au sein du MPA après avoir lancé la création d'une nouvelle organisation estudiantine, celle là même à laquelle appartiendraient des étudiants, des "baltaguis", selon l'expression des enseignants, auteurs de l'agression contre des enseignants en février dernier à la faculté des sciences politiques et des relations internationales de l'université Alger III. Mais au-delà des raisons qui ont conduit à ce limogeage, cette séquence suscite, de nouveau, de nombreuses interrogations sur le fonctionnement des institutions de la République. Comment la vigilance du Premier ministre a-t-elle été prise à défaut par un profil aussi controversé ? Benagoun a-t-il triché sur son parcours en induisant en erreur, y compris son parti ? Son parti également a-t-il été abusé ? Comment son dossier de candidature a-t-il été accepté ? Ce qui suggère, a posteriori, que l'argument d'"antécédents judiciaires" est à exclure ? Ou quelque partie a-t-elle cherché à grenouiller ? En tout état de cause, cette séquence ne manquera pas de relancer le débat sur les enquêtes d'habilitation menées, jusqu'à il y a quelques mois, par les services de renseignement sur tous les cadres appelés à occuper des postes supérieurs. Des enquêtes dénoncées par l'ex-SG du FLN, Amar Saâdani, dans la foulée du bras de fer engagé contre l'ex-patron du DRS, (aujourd'hui DSS), le général-major, Mohamed Mediene, dit Toufik. La suppression de ces enquêtes a permis, d'ailleurs, le retour aux affaires de certains cadres qui avaient maille à partir avec la justice. Mais cette séquence traduit surtout la déliquescence et l'état de décomposition des institutions de l'Etat, car il faut bien se rendre à l'évidence : nous sommes face à un scandale de trop. Un scandale qui conclut une série, comme cette fouille des ministres dans les aéroports étrangers, un gouvernement qui quitte un forum devant de nombreux convives étrangers ou encore la désignation de cadres, condamnés par la justice, à des postes stratégiques. Et la liste est loin d'être exhaustive. Karim Kebir