Interrogé par les journalistes au sortir d'un déjeuner de travail avec Jacques Chirac, le Président a écarté pour l'instant cette éventualité qui demande, selon lui, de “nombreux mois”. Il a conditionné l'ouverture de la frontière terrestre au règlement de trois points, à savoir l'assainissement des relations bilatérales, la construction du Grand Maghreb et le règlement de la question du Sahara occidental. On a hâtivement conclu à la fin du contentieux algéro-marocain après la visite du roi Mohammed VI à Alger, suivie quelques jours après de l'annonce par le président Bouteflika de la suppression du visa pour les Marocains souhaitant venir dans notre pays. En marge du Sommet arabe, le souverain chérifien a eu avec le chef de l'Etat des entretiens présentés comme “fructueux”, et sa visite s'est déroulée dans une ambiance de convivialité qui a conduit les observateurs à entrevoir l'issue d'une brouille qui ne finit pas d'empoisonner les relations bilatérales depuis maintenant plus de dix ans. La suppression du visa annoncée par Alger en réponse à la même décision prise depuis le mois de juillet par Rabat a immédiatement fait croire à une prochaine réouverture de la frontière commune, condition à une réactivation des instances de l'UMA souhaitée par les chefs de l'Etat de l'union. Ce ne sera donc pas le cas, et c'est le président Bouteflika lui-même qui a pris le contre-pied de cette analyse. “L'ouverture de la frontière demande de nombreux mois”, a répondu M. Bouteflika à une question posée dans la cour du palais de l'Elysée où il a été reçu à déjeuner par le président Jacques Chirac après une conférence au siège de l'Unesco consacrée au dialogue entre les civilisations. Précisant sa pensée, M. Bouteflika a poursuivi : “Il est tout à fait clair que nous avons trois points dans le dossier algéro-marocain : les relations bilatérales, ça dépend de Sa Majesté (Mohammed VI) et de moi ; il y a la reconstruction du Maghreb arabe, ça dépend également de Sa Majesté et de moi ; il y a le problème du Sahara occidental, et ça dépend des Nations unies.” M. Bouteflika n'a rien dit de plus sur les relations bilatérales et la relance de l'UMA. Il s'est en revanche un peu plus attardé sur la question du Sahara occidental. “Nous souhaiterions qu'il soit traité correctement par les Nations unies et nous souhaiterions voir le Maroc travailler avec les Nations unies pour nous aider à aller plus en avant.” Une phrase sibylline qui laisse croire que le problème reste posé dans son intégralité et que les récentes discussions entre le roi Mohammed VI et le président Bouteflika n'ont pas progressé au sujet de cette lancinante question. Le souhait formulé par Bouteflika à l'endroit du Maroc suggère que le royaume fait obstacle au règlement onusien. Le dialogue de sourds semble donc se poursuivre avec le Maroc qui s'obstine à considérer l'Algérie comme partie prenante du conflit, alors qu'elle s'en défend et affirme s'en remettre à la solution préconisée par les Nations unies. Si la question du Sahara occidental érigée au Maroc au rang de cause nationale continue de former le nœud gordien de la tension bilatérale, il est difficile d'avancer sur les questions bilatérales. D'autant qu'Alger attend, par ailleurs, les excuses officielles pour sa mise en cause dans l'attentat de l'hôtel Atlas de Marrakech en août 1994. L'ancien ministre de l'Intérieur du défunt Hassan II, Mohamed Basri, aujourd'hui passé dans l'opposition, avait fortuitement vu dans cet attentat la main des services secrets algériens. Saisi d'une incompréhensible paranoïa, il s'était livré à une impitoyable chasse à l'Algérien. Notre pays étant alors en proie à la violence terroriste, de très nombreux Algériens préféraient franchir la frontière occidentale du pays pour aller passer leurs vacances dans un Maroc qu'on retrouvait après une première crise qui avait duré 25 ans. Le Maroc décidait alors de réinstaurer le visa aux Algériens enjoints de quitter sous 48 heures son territoire. L'Algérie répliquait par le principe de la réciprocité doublé de la fermeture de la frontière commune utilisée par les terroristes pour acheminer les armes achetées en Europe. C'est par là que s'étaient enfuis les enfants de Abassi Madani ainsi que de Rabah Kébir, devenu après avoir rejoint l'Allemagne le chef de l'instance exécutive du FIS à l'étranger. L'épisode de l'ancien chef du GIA, Abdelhak Layada, arrêté au Maroc en 1993 et extradé au prix de multiples marchandages, était encore un motif de mécontentement. L'arrestation des tueurs à Casablanca identifiés comme des Franco-Marocains infirmait les accusations de Driss Basri. Alger se saisissait de sa bourde pour une remise à plat de tous les contentieux et la réouverture de la frontière ne semble donc pas une urgence pour le président Bouteflika. Déjà en 1999, il s'y opposait en raison du déséquilibre commercial qu'elle induisait, selon lui, au détriment de l'Algérie. On se souvient encore de sa boutade sur la “friperie de Bakhta et les verres de Meriem” échangés contre des produits énergétiques. Les implications économiques vont donc peser dans la réouverture d'une frontière qui, en réalité, reste perméable aux trafiquants. La preuve en a été fournie par le reportage réalisé récemment par notre journal entre Marsa-Ben-M'hidi et Saïdia. Y. K.