Visiblement, quatre ans après son élection, le Président algérien a fini par décourager définitivement les Français. Le déplacement était prévu de longue date. En mars dernier, lors de la visite historique de Jacques Chirac en Algérie, Abdelaziz Bouteflika, profitant du climat euphorique provoqué par l'événement, avait réussi à arracher auprès de son homologue français le principe d'un déplacement en France, “avant la fin de l'année”, qui sera le sixième depuis son arrivée au pouvoir en avril 1999. Jacques Chirac avait donné son accord de principe, mais les détails du déplacement, habituellement négociés entre les services des deux présidences, n'étaient pas réglés. Dès le départ, les Algériens voulaient une “vraie visite”, médiatisée, de préférence en décembre 2003, à l'occasion de la clôture de “Djazaïr, l'Année de l'Algérie en France”. Les Français ne se sont jamais opposés à cette idée, mais s'étaient montrés prudents sur les détails protocolaires. Paris, soucieux de ne pas apparaître comme un soutien du Président sortant, voulait d'abord voir l'évolution de la situation politique algérienne, avant de se prononcer. Finalement, cet été, les Français ont tranché : pas question pour eux de recevoir le président Bouteflika en fanfare à Paris à seulement quatre mois de l'élection présidentielle. Un tel geste ne pouvait en effet être perçu à Alger que comme un soutien public à la candidature du Président sortant à sa propre succession. Or, c'est justement ce que les Français veulent éviter à tout prix. Du coup, l'Elysée a proposé que le déplacement ait lieu en octobre, à trois mois de la clôture de l'Année de l'Algérie. Hier, le Président algérien a donc effectué une courte visite à Paris. Après avoir inauguré deux expositions de peinture sur l'Algérie, les deux Présidents ont déjeuné ensemble à l'Elysée. Signe de la volonté de Jacques Chirac d'éviter d'apparaître comme soutenant la candidature du président Bouteflika à sa propre succession, le déjeuner ne s'est pas déroulé en tête à tête. Les ministres des Affaires étrangères des deux pays ont été associés à la rencontre. Et d'un point de vue protocolaire, ce détail est d'importance. Officiellement, Jacques Chirac et Abdelaziz Bouteflika ont fait le point sur les relations bilatérales. Les deux hommes ont, selon nos informations, également évoqué l'évolution de la situation politique en Algérie. Paris commence à montrer des signes d'inquiétude quant aux tensions politiques en Algérie et s'interroge sur la stratégie du Président algérien. Surtout que, dès sa première visite d'Etat à Paris, en juin 2000, Abdelaziz Bouteflika avait laissé entendre devant ses interlocuteurs français qu'il refusait de partir seul. “Si je tombe, d'autres personnes doivent tomber avec moi”, avait-il expliqué à cette époque, faisant allusion à certains décideurs de l'armée qu'on dit hostiles à sa candidature pour un second mandat. Un message qu'il a répété à chacune de ses rencontres avec le Président français. Mais, hier, contrairement aux précédents entretiens entre les deux Présidents, Jacques Chirac s'est contenté d'écouter attentivement Abdelaziz Bouteflika. Sans se prononcer. Quatre ans après son arrivée au pouvoir, le président Bouteflika a visiblement fini par décourager définitivement les Français. “C'est dommage ! Au départ, nous avons vraiment cru en lui. Il a fait beaucoup de gestes encourageants dans le sens d'une relance des relations bilatérales. Mais, il est resté au stade de la parole, sans jamais y associer des actes concrets. Abdelaziz Bouteflika pense que dire c'est faire. Et c'est un peu triste pour l'Algérie. Et puis, on ne peut raisonnablement pas briguer un second mandat alors qu'on a presque tout le monde contre soi”, analysait un diplomate français. Hier, Abdelaziz Bouteflika a dû comprendre qu'au mieux, il pouvait compter sur une neutralité bienveillante de Paris. L. G. Algérie : quelle politique pour la France ? De tous les dossiers gérés par la diplomatie française, la question algérienne reste, quarante ans après l'Indépendance du pays, l'une des plus sensibles. L'attitude de Paris sur l'évolution de la situation politique en Algérie depuis le début de l'été en est sans doute la parfaite illustration. “Que faire ?”, s'interroge un diplomate français. “Aujourd'hui, on reçoit le président Bouteflika et on sait que la visite risque d'être interprétée comme un soutien à sa candidature à la prochaine présidentielle. Ce qui n'est pas forcément le cas. Si on ne l'avait pas reçu, alors que la visite était prévue de longue date, certains y verront un signe que nous l'avons lâché. Il n'y a qu'avec l'Algérie que nous avons ce type de relations complexes”, a-t-il ajouté. À Alger, pour de nombreux observateurs, c'est l'évidence : Paris joue un rôle important dans la vie politique algérienne. Le Quai d'Orsay est devenu un passage obligé pour tout homme politique algérien, proche du pouvoir ou dans l'opposition, en quête de notoriété et de respectabilité. Souvent, des généraux envoient leurs émissaires à Paris pour expliquer leurs intentions. La dernière idée en date que certains veulent vendre aux Français : les généraux sont prêts à céder tout le pouvoir à un civil si ce dernier s'engage à leur fournir certaines garanties. Ils estiment que le président Bouteflika qu'ils ont installé aux commandes du pays en 1999 les a “trahis” et maintenant ils veulent quelqu'un de plus crédible. “Nous recevons beaucoup de personnes et nous écoutons tout le monde. Mais, encore une fois, nous n'avons aucun pouvoir d'influer directement sur la politique intérieure algérienne. Ceux qui croient encore que Paris a les moyens de provoquer directement des changements dans le système algérien fantasment. Ils se trompent”, ajoute le diplomate, en allusion aux nombreux appels lancés par des partis comme le FFS durant les années 1990, demandant une intervention de la communauté internationale contre la “junte au pouvoir”. Depuis les attentats du 11 septembre 2001 et la récente guerre en Irak, les choses se sont nettement compliquées : la communauté internationale est profondément divisée et les violations des droits de l'Homme ne sont plus perçues de la même façon selon qu'on est Français ou Américain. Du coup, une tentative française de pousser le régime algérien à des changements démocratiques risque de s'avérer contre-productive. Car, les Américains prendraient immédiatement le relais pour le soutenir ! Du coup aussi, la France se refuse de condamner le moindre agissement du régime algérien, y compris par exemple ses attaques inexplicables contre les journalistes ou la condamnation de plusieurs sinistrés de la ville de Boumerdès. Aujourd'hui, les Français sont prêts à composer avec ceux qui les soutiennent en Algérie. Hier, à Paris, le président Bouteflika a pu sans doute mesurer l'ampleur de cette difficulté que rencontrent les Français pour agir sur l'évolution des choses en Algérie. Mais cette fois, elle risque de se faire à son détriment. L. G.