Observateur avisé de la scène politico-sociale nationale et l'un des intellectuels les plus en vue ces dernières années, le sociologue Nacer Djabi pointe du doigt, dans cet entretien express, les défaillances de l'université algérienne et tire la sonnette d'alarme face à la violence qui la gangrène. Liberté : Que vous inspire l'assassinat de l'enseignant de Khemis Miliana ? Nacer Djabi : Cela confirme ce que j'ai dit dans ma récente lettre de démission : il y a des causes objectives qui font que la violence s'étende au sein de l'université (les conditions de travail, absence de conditions pédagogiques, problème de gestion, chantage de certains syndicats...). Aussi y a-t-il un déficit dans la formation des enseignants. Il y a un recrutement de masse qui ne prend pas en ligne de compte les impératifs pédagogiques et l'évolution des sciences. Autre tare : les petits groupes d'étudiants qui squattent des syndicats et font du chantage. Donc, il n'y a pas seulement des causes externes lorsque certains évoquent la violence dans la société, mais il y a aussi des causes internes. Et malheureusement, la situation risque de continuer comme ça et se dégrader davantage. Faut-il une réforme en profondeur de l'université ? En grande partie, l'université n'est pas réformable. Sa situation va se détériorer davantage. Les agressions contre les enseignants et la violence au sein de l'enceinte universitaire vont croître et se développer car les conditions qui y conduisent sont réunies dans la majorité des institutions... Le niveau d'instruction des étudiants et des enseignants va se dégrader davantage (...) Le seul qui puisse réformer est le président de la République. Le ministre ne peut rien faire, il est prisonnier et sous pression permanente des syndicats, des étudiants, des enseignants et des parents. C'est un petit fonctionnaire. Même le Premier ministre ne peut rien faire. Il faut trouver une autorité morale et politique qui sache qu'elle aura à affronter des contraintes et des résistances. La réforme du système éducatif et de l'université implique de dire à la société des vérités connues et de bousculer de nombreux intérêts et des formes de corruptions répandues. Une réforme implique de se confronter aussi à une partie du corps des enseignants, des étudiants et des catégories professionnelles qui sont en charge de la gestion quotidienne. La réforme de l'enseignement ou de l'université, c'est comme l'agriculture, il faut attendre les résultats dans cinq ans. Mais aujourd'hui, on refuse de payer la facture politique des réformes. Il faut des réformes qui heurtent certaines mentalités et certaines pratiques. En Algérie, l'école primaire est mieux gérée que l'université. On a des universités de village. Pourtant elle est censée produire l'élite... Aujourd'hui, on ne demande rien à l'université. L'élite est formée ailleurs. C'est une pseudo-université. Ni normes de travail, ni organisation, ni normes pédagogiques. Peut-être que cette violence qui a touché nombre d'universités (M'sila, Batna, Alger...) va ouvrir les yeux aux pouvoirs publics et à la société sur le vrai visage de l'université. Propos recueillis par : Karim kebir