Dans la rue, à proximité des établissements scolaires, au souk ou devant chez soi, les lames ont tendance à proliférer. Et, souvent, à être brandies et utilisées pour des mobiles allant de l'agression au règlement de comptes. "Aujourd'hui, pour une cigarette ou un mot mal apprécié, tout peut dégénérer très vite." Beaucoup l'assimilent à un manque d'éducation, une perte de nos valeurs ou évoquent l'influence des médias ou des technologies de l'information et de la communication, à travers des films de fiction, des jeux vidéo... Le phénomène ne touche pas seulement les cités urbaines mais aussi, et dans une proportion de plus en plus grande, le monde rural. La violence chez les jeunes conduit fréquemment, de nos jours, à des drames et la mort d'homme avec utilisation d'armes blanches, tels que les couteaux, les coutelas ou autres, n'est plus si rare... Un phénomène inquiétant, qui hante, aujourd'hui, le sommeil de nombreux parents et qui devient anxiogène pour toute la société. En effet, le couteau est devenu, ces derniers temps, une arme utilisée à grande échelle. Les événements survenus ces derniers jours à Bordj Bou-Arréridj, où un jeune homme a été mortellement blessé par un agresseur qui s'est servi d'un tournevis, ou à Ras El-Oued où un jeune militaire en permission a été mortellement poignardé à la poitrine, ne sont malheureusement pas des cas isolés. L'utilisation d'armes blanches dans les vols avec violence ne cesse d'augmenter. Les victimes sont nombreuses, et cela ne va pas sans provoquer des situations de conflits durables, qui n'en finissent pas car ces actes font souvent naître un désir de vengeance chez les proches des victimes. Bref, le cortège des malheurs du fait des armes est long, aussi bien à Bordj Bou-Arréridj qu'ailleurs dans tout le pays. La problématique des armes prohibées se pose de plus en plus avec acuité. Nous avons cherché à remonter le circuit pour cerner le phénomène. Le vendeur, l'utilisateur et la victime Arme de sixième catégorie dont le port est strictement interdit, le couteau dont la lame oscille entre 8 et 15 cm de long se retrouve très souvent au cœur des bagarres, règlements de comptes ou agressions. Bien que la loi sur les armes interdit les couteaux pouvant s'ouvrir d'une seule main — les couteaux papillon, les couteaux à lancer et les poignards à lame symétrique — il est constaté tant chez la police qu'en milieu hospitalier, que les jeunes s'arment et ont recours à des objets de tous genres. "Comme des couteaux de cuisine, des tournevis ou des cutters", confie un policier. "Le couteau est surtout une arme discrète. Il peut arriver qu'un simple différend ou une bagarre dégénère ou vire au drame lorsque l'un des belligérants possède une lame", ajoute-t-il. À proximité des établissements scolaires, au souk ou devant chez soi, les lames ont tendances à s'aiguiser pour des mobiles allant de l'agression au règlement de comptes. "Aujourd'hui, pour une cigarette ou un mot mal apprécié, tout peut dégénérer très vite", constate un imam. Les raisons ? "Manque d'éducation et perte de valeurs. Nos valeurs ont été extraverties par ce qui vient de l'extérieur", confie notre interlocuteur. "On installe aussi un ordinateur ou une télé satellite dans la chambre d'un enfant qui passe son temps à regarder des films d'action et des images atroces de personnes tuées qu'il finit par banaliser. Et c'est ce que les jeunes intériorisent et finissent par appliquer dans la vie courante, surtout face aux tentations". Qui détient une arme blanche ? Une arme trop souvent utilisée pour des motifs futiles. Posséder une arme est devenu, pour certains, une "nécessité". Pour d'autres, l'arme est un objet qu'on exhibe dans les débits de boissons ou devant les copains. Mais la détention d'arme à feu ou blanche obéit à une réglementation que beaucoup ignorent assez souvent. "Ils m'ont dit donne-moi tout ce que t'as ou je te tue !", raconte, encore choqué, un jeune adolescent qui n'hésite pas à nous montrer son couteau. "Désormais, moi aussi, j'ai une arme, uniquement pour me défendre", justifie-t-il. Derrière ce phénomène, les spécialistes y voient, au-delà des films de fiction, l'emprise de la drogue et des boissons alcoolisées. "Ces jeunes ne sont pas lucides pour la plupart, c'est pourquoi ils deviennent agressifs et n'hésitent pas à poignarder leur ami ou leur protagoniste pour des histoires généralement futiles", estime un professeur en sociologie. Pour la plupart, "la mort n'est plus un mystère ou un drame, avec les films de violence qu'ils regardent et le sentiment d'humanisme n'existe plus". Le couteau est rapidement brandi C'est un objet discret qui fait beaucoup trop parler de lui. Malgré l'interdiction de son port, l'arme blanche est encore très souvent utilisée pour régler des comptes, voler des téléphones portables ou agresser des passants. "Ce phénomène est d'autant plus inquiétant que les auteurs de ces agressions sont souvent sous l'emprise d'alcool ou de drogue", confie un enquêteur. Petit, discret et très facile à dissimuler et à porter, le couteau est l'arme que l'on se procure facilement, contrairement à une arme à feu. "Ils visent les lieux sensibles du corps et c'est ce qui conduit directement à la mort. Cela témoigne qu'ils sont accros aux films violents et y accordent une attention particulière. Réellement, ces scènes de violence télévisées, ont formaté les jeunes et déterminent aujourd'hui leur comportement". "À chaque fois que nous traitons une affaire où il y a usage d'un couteau, c'est forcément quelque chose de grave", assure un sociologue qui observe une "disproportion entre la motivation de l'agresseur et la gravité du geste". L'usage de l'arme blanche n'a rien d'anodin. Si ces agressions à l'arme blanche ne sont pas forcément plus nombreuses que ces derniers mois, elles peuvent avoir des conséquences dramatiques. Les armes blanches faciles d'accès À Bordj Bou-Arréridj, un petit détour dans le quartier, le souk, à travers une dizaine de boutiques, a permis de constater l'accès facile à une arme blanche. "Un couteau coûte entre 100, 1 000 et 1 500 DA, voire plus", nous ont lancé les quelques vendeurs interrogés sur le prix. Une "arme" accessible à tout le monde, même pour les plus jeunes. "Nous ne faisons pas attention à celui qui achète", nous informe-t-on dans certaines boutiques. En effet, les armes blanches se vendent à tous les coins de rue, dans les boutiques et même en plein air. "Il y a une circulation accrue de ces armes, c'est dangereux. Il faut en proscrire la commercialisation tout comme la détention", soutient Hamid, enseignant. C'est pourquoi, suggère-t-il, "il faut des commerces spécifiques où l'on doit vendre et acheter, par exemple des couteaux, qui sont souvent utilisés dans des altercations". En clair, des couteaux, cela se vend comme des petits pains. Une arme récupérée, c'est une vie sauvée "Dans un pays pacifique comme l'Algérie, il n'est pas intéressant de vivre de pareils cas. Il faut y mettre fin", affirme-t-il. À en croire le jeune Mounir, "il y a trop de laisser-aller. Au stade, par exemple, c'est assez ignoble. On banalise tout maintenant (parlant des tueries). Les jeunes copient sur l'Occident ce qu'ils voient au cinéma", dit-il encore, n'hésitant pas à plaider pour "la censure des films violents", estimant que "nous n'avons pas les mêmes valeurs", que "nous devons revenir aux nôtres". Et de s'interroger : "Je me demande si l'Etat songe à se donner enfin les moyens pour éradiquer un tel phénomène." Abordant la commercialisation des armes blanches, il poursuit : "On ne sait pas qui vend, qui achète. Et on vend les armes blanches à qui en veut. Il faut une règlementation." De l'avis d'une mère, il faut "renforcer l'éducation de base, davantage sensibiliser les jeunes en mettant l'accent sur les valeurs humaines et civiques". Selon Hocine, un jeune étudiant, "les autorités compétentes doivent trouver les voies et les moyens de réglementer la circulation des armes blanches et, au besoin, sévir lourdement contre les coupables de meurtre pour dissuader les gens à développer de telles pratiques". Il regrette, en outre, le bon vieux temps où les querelles et les conflits se réglaient autrement, sans jamais atteindre un tel degré de violence. "Je me rappelle qu'auparavant, on réglait nos comptes tout au plus par de simples bagarres sans gravité et sans conséquence. Aujourd'hui, les jeunes se munissent d'armes blanches pour régler leurs différends", désapprouve-t-il. "Il faut équiper la police et les entrées des lieux sensibles de détecteurs de métaux", préconise-t-il. Chabane BOUARISSA