C'est à ciel ouvert que des centaines de tables, bien garnies en produits pyrotechniques, sont érigées dans le Grand-Alger. Et si les prix affichés sont "explosifs", les citoyens achètent à tout bout de champ ces petits jouets inflammables et dangereux. Double bombe, Chitana, Fusée, Commandos, TNT, Saroukh, Bouq, Zarbout, Nahla, Mhirka, fumigène et Nouala, ce sont là les appellations que les Algérois attribuent aux produits pyrotechniques, dont les pétards, exposés à la vente sur la voie publique et sur les trottoirs. Interdits à l'importation comme à la vente, ces jouets s'invitent, à chaque rendez-vous festif, sur le marché et sont vendus au vu et au su de tout le monde. L'ambiance est électrique dans le Grand-Alger en ce mardi 28 novembre, jour fatidique du derby algérois qui devait opposer le MC Alger à l'USM Alger. Si les supporters s'approvisionnent pour les besoins des décors dans les tribunes et pour, ensuite, fêter la victoire comme il se doit jusqu'au chant du coq, des pères de famille, des jeunes et moins jeunes s'invitent dans les mythiques ruelles de Djamaâ Lihoud, réputées pour être le fief des commerçants de tout bord qui profitent de cette aubaine pour se remplir les poches. Approvisionnés par des réseaux organisés et les grossistes basés à Alger et dans les wilayas des Hauts-Plateaux notamment, ces revendeurs affichent des prix "explosifs" contrairement aux années précédentes. Dans les arcades du vieux bâti, des jeunes concurrents spéculent sur les prix pour gagner un petit pécule. "Bien sûr que je dois acheter des pétards et des feux d'artifice. Tu imagines les tribunes d'un stade sans feu d'artifice ? Tu sais ce que représente la victoire d'un derby à Alger ? J'ai dépensé 5 000 DA. La veille de la fête du Mawlid Ennabaoui, ce sera autre chose. Généralement, c'est mon petit frère qui achète pour 10 000 ou 15 000 DA, et ce, pour toute la famille", témoigne ce jeune supporter du Mouloudia d'Alger. Très juteux, le marché des pétards se chiffre en milliers de milliards. Des milliards qui partent en fumée, l'espace d'une fête, et qui causent des incendies et des dégâts humains chaque année. Mais, les érudits des fêtes explosives ne l'entendent pas de cette oreille. "Chacun est responsable de ses actes. Le Mawlid Ennabaoui doit se fêter comme il se doit. J'ai trois gosses. Je vois mal les enfants des voisins s'éclater sur les balcons et dans le quartier pendant que, moi, je laisse les miens dans une ambiance morose. Je dépense entre 3 000 et 4 000 DA. C'est mille fois rien ! Le Mawlid Ennabaoui, c'est une fois par an." Dans ce quartier, les grossistes arrivent avec leurs fourgonnettes pour livrer les petits revendeurs. Il y a des Subsahariens qui prennent, souvent, le relais en attendant le payement des marchandises. "Ça travaille très bien ici et je gagne bien ma vie", nous dira, souriant, ce Nigérien qui semble connaître toutes les ficelles du marché de Djamaâ Lihoud. L'austérité n'a guère sa place dès qu'il s'agit d'égayer les enfants, quitte à brûler la cité. Un jeune revendeur raconte : "Comme tu le vois, ma table est bien garnie. Non ? C'est la meilleure dans ce quartier. Je vends moins cher que tous. C'est vrai que les prix des pétards et des jeux pyrotechniques ont augmenté. Mais, je vends bien, car j'essaye de liquider le maximum avant jeudi soir." Selon lui, la mousse en spray est au prix de 100 DA au lieu de 150 DA, le petit pétard est affiché entre 250 et 500 DA, selon le nombre d'unités alors que les autres jouets démarrent à 700 DA. Les jouets volumineux, eux, sont cédés entre 800 et 1 200 DA, alors que les fumigènes sont vendus, selon les marchands, entre 3 500 et 4 500 DA. "Nous le savons ! Les Algériens cassent leur tirelire pour les fêtes de l'Aïd et tant mieux pour nous. Cela dit, nous avons toujours la peur au ventre quand la police débarque pour nous saisir la marchandise et nous retrouver au commissariat", nous dira notre interlocuteur. À Djamaâ Lihoud, comme dans ces ruelles exiguës et inaccessibles aux véhicules, nous avons l'impression d'être dans une foire aux pétards. Certains revendeurs proposent même "des essais d'explosion" pour attirer la foule et convaincre, à "J-3" de la fête. Ici, les tables se juxtaposent à tel point qu'à la moindre étincelle, le marché partirait en fumée, comme cela a été le cas en 2016 où six incendies avaient causé des dégâts énormes, notamment des brûlés au troisième degré. Ce décor, certes festif, n'est pas propre à la capitale. C'est un sport national qui touche toutes les villes, villages et douars d'Algérie, y compris les contrées éloignées du pays. Les détonations seront, encore une fois, au rendez-vous en cette traditionnelle fête. Place à la fête et à la... vigilance ! Reportage réalisé par : Farid Belgacem