"Le monde a changé, l'Algérie a changé, c'est pourquoi il faut nous réinventer, innover, notamment en adoptant une nouvelle façon de faire de la politique et de développer la citoyenneté. Cela passe par l'adoption d'outils numériques permettant de se rapprocher du citoyen et de favoriser le travail participatif et collaboratif." Ce constat n'est ni d'un parti politique ni d'un think tank, mais d'un mouvement dénommé "Ibtykar" (innovation), (amaynut en Tamazight), qui a vu le jour, il y a quelques mois, et dont l'ambition est de rassembler les forces démocratiques maintenant qu'il est établi qu'il n'existe plus sur le terrain, selon ses fondateurs, une offre politique basée sur un socle de valeurs susceptibles de susciter l'intérêt de la jeunesse à la politique, une jeunesse qui boude en masse les urnes, s'appuyant sur les nouveaux moyens de communication, pour contourner les interdits imposés par le système, pour promouvoir la citoyenneté et, in fine, provoquer le changement démocratique pacifique. "Ibtykar est un mouvement citoyen, collaboratif, participatif et transgénérationnel. Il est inclusif, ouvert aux citoyens et aux associations, et en lien avec tout parti qui partage un objectif commun, celui de contribuer à la construction d'une République démocratique, pluraliste, sociale et ouverte sur le monde", écrivent ses membres fondateurs qui ont animé, hier, une conférence de presse à Alger. "Ibtykar s'inscrit dans une démarche de rassemblement des forces démocratiques, quelles que soient leurs options politiques, dès lors qu'elles respectent les valeurs démocratiques dont l'Etat de droit, l'alternance politique, le respect des minorités, la pluralité politique et culturelle, la liberté de conscience ou l'égalité homme/femme", ajoute la fiche de présentation du mouvement. La décision de lancer ce mouvement ne procède ni d'ambitions politiques personnelles, encore moins de produire simplement de la réflexion, mais de mobiliser les Algériens, de leur redonner espoir en un avenir meilleur. En quelques mots : articuler réflexion et action. Il est motivé par le constat que "l'offre politique ne correspond pas aux attentes et aux demandes des Algériens", que les "forces et actions démocratiques et citoyennes sont réprimées et fragmentées par le pouvoir" et que "la fin du système actuel est prévisible avec le tarissement de ses ressources historiques, symboliques et financières". "La société est rentière et a créé une clientèle, pas des citoyens", a observé Samir Yahiaoui, membre du conseil stratégique. "C'est une société en perte de valeurs et de repères où il y a absence de l'intérêt général", analyse, de son côté, l'expert économique Samy Oussedik. "Nous ne pouvons plus rester dans ce statu quo. Nous sommes face à un système qui détruit les richesses et fait fuir l'intelligence", souligne-t-il, avant de rappeler la nécessité, pour le pays, de "faire un audit de ses comptes et d'aller à des réformes dont celles de l'école, des structures de l'Etat et de la justice". Avec une organisation réduisant les niveaux hiérarchiques et privilégiant les débats internes, Ibtykar entend également se lancer dans des actions en utilisant des plateformes digitales, surtout qu'aujourd'hui, de plus en plus de jeunes utilisent le smartphone. "Compte tenu des contraintes pesant sur l'exercice des libertés, nous avons fait du numérique notre outil d'action de prédilection. Nous concevons des formats digitaux accessibles au grand public et réalisons des projets Civi-Tech afin de rassembler les voix démocratiques et de renforcer l'engagement citoyen et politique", explique Mme Amina Afaf Chaïeb. C'est ainsi qu'il organise avec des associations et des partis politiques des rencontres autour de thématiques politiques et de sujets d'actualité relayés sur le Net ; réalise et diffuse des vidéos didactiques "destinées à l'éveil des consciences citoyennes et politiques", organise des rassemblements "en lien avec l'histoire et organise et participe à des manifestations citoyennes". Dans le même contexte, une plateforme numérique citoyenne et politique sera mise en place dès 2018 (www.mouwatana.tech). Composée dans un premier temps de trois applications, la plateforme transforme "le smartphone, la tablette ou l'ordinateur en un outil citoyen, permettant à tous les Algériens de devenir acteurs du changement", selon les conférenciers. Même si la mission s'annonce rude au regard de la crise de confiance, les animateurs d'Ibtykar entendent de se battre jusqu'au bout. "Nous avons conscience que le chemin sera long", observe, lucide, Samy Oussedik. K. K.