Karim ZERIBI, Ancien Député Européen et Conseiller de Jean- Pierre Chevènement Ministre de l'Intérieur, aujourd'hui Président de l'Agora des Dirigeants France- Algérie, Club d'Affaires réunissant plus de 200 entreprises Françaises et Algériennes. Président d'Agromed qui a signé un accord avec Agrolog EPE Algérien placé sous l'égide du Ministère de l'Agriculture. Un Nouvelle Algérie est en Marche ! Liberté : Comment voyez- vous la situation de l'économie algérienne ? Karim Zeribi : Je la vois en évolution positive eu égard à la situation économique mondiale, à la conjoncture qui touche les hydrocarbures et aux défis d'avenir qui se présentent à la nation Algérienne. J'ai le sentiment que l'Algérie est en train de réviser son logiciel économique dans le bon sens. Le gouvernement veut diversifier l'économie algérienne parce qu'il a compris que la seule recette qui provenait des hydrocarbures étaient loin d'être suffisante pour répondre aux besoins du pays. Il semble avoir pris la mesure du rôle que doivent jouer les entreprises algériennes en favorisant la fabrication locale et les emplois qui vont avec, en limitant également les importations et en faisant en sorte que le made in Algéria puisse répondre aux besoins intérieurs du pays mais puisse aussi s'exporter en Europe et en Afrique sub-Saharienne. Je crois que cette philosophie économique est le chemin que l'Algérie aurait dû prendre depuis plusieurs décennies déjà mais je suis heureux de ce sursaut car il va positionner le pays comme il se doit pour affronter les nombreux défis économiques, sociaux et environnementaux du 21 ème Siècle. Quel pourrait être l'apport ou l'implication de la diaspora dans le développement économique du pays ? Je crois que dans le cadre de cette philosophie d'ouverture au monde et à l'économie de marché qui est portée par le gouvernement algérien, le rôle de la diaspora est fondamental. J'ai beaucoup apprécié les prises de position et les décisions du Premier Ministre lors de son passage à Paris le 7 décembre dernier. Plusieurs mesures ont été annoncées par Ahmed Ouyahia qui a clairement indiqué que la diaspora devait et pouvait avoir sa place dans le développement économique de l'Algérie. Permettre à cette diaspora de bénéficier des mêmes avantages que les Algériens établis en Algérie est une bonne chose et un geste d'unité que je salue. Ce signal est nouveau, il est fort et il est bon pour l'unité de la communauté algérienne qui possède des compétences reconnues à l'échelle internationale. Il va donner envie à une diaspora qui était déjà attirée naturellement par son pays d'origine à investir économiquement et intellectuellement en Algérie. Il existe une forme de patriotisme algérien au-delà des frontières du pays. Les Algériens de la diaspora sont attachés à leurs origines et aux racines de leurs parents et grands- parents. Ils sont attachés au développement du pays et attentifs à son évolution. Jusqu'à présent cette diaspora avait le sentiment d'être un peu orpheline car sans signal envoyé de la part des différents gouvernements qui se sont succédés .Aujourd'hui il y a un signal fort et une politique de la main tendue qu'il faut saisir au service du développement économique de l'Algérie. La diaspora sait désormais qu'elle sera partie prenante du développement du pays par le biais d'investissements et de capitaux financiers mais pas seulement car il ne faut surtout pas minimiser le capital transfert issu des compétences et de l'expérience acquises partout dans le monde par cette diaspora qui rayonne sur tous les continents. Ce rayonnement doit aujourd'hui profiter à l'Algérie car l'enjeu consiste à additionner les énergies, les talents et les compétences nationales et internationales. Les Algériens d'Algérie et les Algériens de la diaspora ont un point commun majeur, ils veulent voir l'Algérie réussir ! Pensez- vous que le 51/49 est un frein à l'investissement en Algérie ? Le 51/49 concerne les investissements étrangers en Algérie. Je considère que cette législation est une bonne mesure. Contrairement à ce que certains pensent, ce n'est pas le 51/49 qui représente un frein à l'investissement étranger en Algérie. Je rappelle souvent qu'il est préférable de détenir 49% d'une entreprise qui connait la prospérité que 100% d'une société qui périclite. Si frein il y a il provient plutôt à mon avis d'un manque de stabilité législative dans le domaine économique et financier mais également de trop de bureaucratie administrative qui pénalise l'envie d'investir. Sur ce dernier point la France et l'Algérie possèdent les mêmes défauts. Il serait bon de s'inspirer de la souplesse anglo-saxonne sur le plan administratif pour favoriser l'esprit d'innovation et d'entreprendre. Un autre frein existe dans les secteurs qui concernent la revente en l'état. Il provient de l'impossibilité à remonter ses dividendes dans le pays de son choix. Dans le domaine de la construction et de la production ce frein a été levé car il est possible de rapatrier ses dividendes, c'est une bonne chose. Dans le secteur du textile par exemple j'ai rencontré beaucoup d'algériens minoritaires dans le capital des entreprises qu'ils partagent avec des Libanais, des Tunisiens ou des Turcs notamment. Ces derniers, largement majoritaires au capital ne peuvent remonter leurs dividendes car la législation ne le permet pas lorsqu'il y a revente en l'état. Je propose de légiférer pour permettre aux algériens de reprendre une majorité au capital de ses sociétés tout en permettant en contrepartie une remontée partielle de dividendes pour l'actionnaire étranger qui deviendrait du coup minoritaire dans ces sociétés au fort chiffre d'affaires. Dans le droit fil de cette stratégie, je pense que le gouvernement algérien aurait intérêt à la fois à rendre l'actionnariat algérien majoritaire dans les secteurs de la revente en l'état tout en permettant à l'actionnaire étranger de remonter une partie de ses dividendes. J'ajoute qu'à l'ère où l'Algérie veut fabriquer local cette politique aurait un avantage. Restons sur l'exemple du textile, si la législation permettait aux algériens de devenir majoritaires le gouvernement pourrait exiger d'eux qu'ils se mettent à fabriquer localement ce qui est aujourd'hui importer. Fabriquer du Zara ou du Celio en Algérie avec un taux d'intégration raisonnable serait possible par le biais de cette politique. Je suis personnellement favorable au concept de protectionnisme économique ouvert sur le monde. Je crois qu'il est normal qu'une nation protège son économie. D'ailleurs lorsque ce sont les Etats- Unis, l'Allemagne ou la Chine qui agissent de la sorte l'on trouve cela normal et quand c'est un pays comme l'Algérie on va tenter de nous expliquer que c'est un frein au développement de l'économie. Je défends la législation du 51/49 mais également la limitation des importations car l'Algérie possède un potentiel humain et en ressources hors- norme pour devenir un pays qui fabrique, qui construit, qui assemble, qui produit. Avec un pays jeune, un positionnement géo- stratégique idéal entre l'Europe et l'Afrique l'Algérie peut et doit devenir le hub et le passage obligé des échanges entre nos deux continents. Comment commentez-vous les mesures gouvernementales de limitations aux importations ? Je pense qu'il était nécessaire sur le plan économique de prendre ce type de mesures que je qualifierai d'électro- chocs. L'Algérie importait plus de 400 000 véhicules avant la mise en place du quota à 50 000 véhicules importés. Depuis que cette mesure existe on a pu voir Renault, Volkswagen, Hyundai et Peugeot s'installaient avec des unités d'assemblages et de productions de véhicules algériens. Certains évoquent même aujourd'hui la possibilité de fabriquer en Algérie pour exporter. Il s'agit aujourd'hui de travailler à la mise en place d'une chaine de prestataires et de sous- traitants performants pour organiser efficacement le secteur industriel créateurs d'emplois pour les algériens et de richesses locales. Cet exemple vaut pour d'autres secteurs comme l'agriculture, l'agroalimentaire, les énergies renouvelables, le numérique ou la logistique. Prenez l'exemple de la production agricole, l'Algérie possède un potentiel extraordinaire avec 40 millions d'hectares cultivables. Aujourd'hui seulement 8 millions d'hectares sont cultivés. A la fin des années 60 l'Algérie exportait 1 millions 200 000 tonnes de fruits et légumes vers l'Europe. Elle était le grenier de ce continent et était reconnu pour la qualité du goût de ses produits. . Ce marché profite maintenant aux Espagnols, aux Marocains et aux Tunisiens avec des produits de bien moindres qualités au niveau du goût car ils ont privilégiés une agriculture intensive faite à base de pesticides dangereuses pour la santé publique. La politique menée actuellement par le ministre de l'agriculture est bonne et dynamique. Les mesures d'octroi de concessions, de crédits bancaires à taux zéro pour financer les investissements liés à l'irrigation et au matériel sont très positives. Les investissements privés et publics effectués par le ministère de l'agriculture à travers le groupe public AGROLOG notamment sont à la hauteur des défis que l'Algérie doit relever : répondre au marché intérieur pour assurer l'autonomie et la sécurité alimentaire de la nation et faire à nouveau rayonner l'Algérie à l'échelle internationale par la qualité de ses produits qui proviennent d'une agriculture raisonnée. L'Algérie doit prendre conscience de ses potentialités. Dans tous les secteurs ce pays possède des atouts exceptionnels, industriel j'en ai parlé avec le secteur automobile, potentiel agricole et agroalimentaire je viens de l'évoquer, potentiel touristique avec des régions plus belles les unes que les autres. Quel est le pays qui peut passer des montagnes de Kabylie au Sahara de Djanet en passant par El Oued et en allant vers l'Oranie...Un tourisme de trekking, un tourisme culturel, historique, un tourisme durable pour amoureux de l'écologie est possible en Algérie. Enfin l'ère des énergies fossiles est loin d'être épuisée mais une alternative extraordinaire existe en Algérie avec le fort potentiel solaire et géothermique pour miser sur les énergies renouvelables. L'Algérie est un joyau et le peuple algérien fort de sa jeunesse. Contrairement à ce que j'entends ici et là la jeunesse algérienne étudie et veut trouver sa place dans la société. Tous mes amis Français qui ont investi en Algérie vantent le mérite, le sérieux et les compétences de cette jeunesse qui aspire à réaliser ses ambitions et ses rêves, comme toutes les jeunesses du monde. L'énergie des femmes et des hommes existe en Algérie. Je rencontre en Algérie, à l'occasion de fréquents aller- retours, des chefs d'entreprises courageux, des cadres d'entreprises publiques de grandes qualités. Si la confiance s'installe malgré le contexte économique en pleine évolution une Algérie Nouvelle va émerger. Un Algérie où l'Etat assurera les missions régaliennes car seul l'Etat peut les gérer dans l'intérêt du pays et les entreprises publiques et privées de diverses tailles seront chargées de créer un élan créateur de richesses et d'emplois. Comment l'Algérie peut drainer les capitaux étrangers pour surmonter la crise financière actuelle ? Pour accélérer la diversification de son économie et favoriser les investissements dans le secteur productif l'Algérie doit en effet attirer les capitaux multiples. Plusieurs leviers doivent être actionnés ; le levier fiscal tout d'abord pour faire de l'Algérie un pays producteur avec une fiscalité sur les sociétés et les revenus attractives. Ensuite il faut créer un climat de confiance car aucun investisseur ne s'aventure sans un minimum de garanties relatives à la stabilité législative et à ce que j'appelle les conditions d'un éco- système attractif. Dans l'ordre je crois que l'Algérie doit tout d'abord tabler sur les capitaux algériens qui doivent en priorité être investis en Algérie. Je pense qu'il y a encore trop d'Algériens qui investissent à l'étranger. C'est mon avis. Ensuite il faut capter les investissements de la diaspora. Une fiscalité attractive peut concourir à cet état de fait. S'il y a un choix à faire pour la diaspora en matière d'investissement il faut que ce choix se porte sur l'Algérie. Ensuite pour gagner la confiance et susciter l'intérêt des capitaux étrangers je reviens sur les thèmes du début de notre entretien, un investisseur a besoin de stabilité et de sécurité législatives, un investisseur minoritaire dans le capital des sociétés de droit algérien doit pouvoir remonter une partie de ses dividendes en toute sérénité, un investisseur doit également trouver un contexte susceptible de lui donner envie de passer du temps en Algérie, c'est ce que l'on appelle les conditions d'un éco- système attractif. Des moyens de transports modernes, des lieux de vie agréables, des espaces culturels de qualités, des sites sportifs de haut niveau, des infrastructures de santé aux standards internationaux, tout cela participe du choix d'un investir à miser sur un pays plutôt que sur un autre. L'Algérie a beaucoup investi sur chacun des secteurs que je viens d'évoquer, il faut poursuivre et accélérer cette transformation. C'est un point central. Je suis personnellement défenseur des concepts de Co-localisation et de protectionnisme ouvert sur le monde. Protéger son économie n'est pas antinomique avec une volonté d'ouverture au monde notamment sur le plan commercial mais pas seulement. Les pays les plus libéraux de la planète sont les pays les plus protectionnistes, les Etats- Unis, 1ère puissance au monde en est l'exemple parfait. Cette politique américaine existe depuis toujours. Le peuple américain n'a pas attendu Donald Trump pour porter le slogan América First. A l'instar des grandes nations je crois que l'Algérie est en train de redéfinir son modèle de société. Un modèle où l'Etat et la puissance publique resteront forts car il tiennent et incarnent les fondations du pays, un modèle où les entreprises et la société civile doivent prendre toutes leurs places dans les domaines économiques, de l'innovation et de la production, un modèle qui place l'Algérie en capacité de répondre aux besoins et aux attentes de son peuple mais également à retrouver un rayonnement économique dans le concert des nations à l'échelle internationale. J'apprécie à ce titre le rôle nouveau jouer par les ambassadeurs Algériens qui deviennent de véritables VRP de cette nouvelle Algérie. Je le vérifie à Paris régulièrement quand je vois l'ambassadeur d'Algérie accueillir et aller à la rencontres des acteurs économiques. Ce pragmatisme nouveau est salutaire et favorisera une communication positive qui était jusqu'à présent insuffisante pour faire face à tous les prophètes du malheur qui voudraient voir l'Algérie échouer. Ce pays est fort, il a obtenu son indépendance dans la douleur, il a traversé des crises économiques, il a fait face à une décennie noire dramatique et il est aujourd'hui toujours debout ! Je crois personnellement à cette Nouvelle Algérie qui est en marche pour trouver sa place dans le grand concert des nations du 21 ème siècle.