Liberté : Votre association s'est vu notifier un refus déguisé d'organiser la rencontre sur les femmes maghrébines et les médias de leur pays dans l'hôtel Le Diplomate au centre de Tunis. Ce n'est pas la première fois que les autorités recourent à ce genre de pratique pour vous empêcher de vous exprimer. En quoi vos activités peuvent-elles déranger ? Ahlem Belhadj : Le pouvoir ne veut pas que nous puissions jouer notre rôle d'ONG. En Tunisie, les droits accordés aux femmes sous l'ère Bourguiba sont utilisés comme un alibi et un faire-valoir par les autorités actuelles. Dire que les Tunisiennes ont des problèmes et font l'objet de violences multiples, signaler les cas de discrimination, cela trahit le discours officiel. Dès lors, l'ATFD devient une cible car elle revendique une pleine citoyenneté pour la femme et milite pour les libertés individuelles et collectives. Nous endurons des pressions et une surveillance policière constante. Nous sommes également censurées par les médias. L'association n'a même pas le droit d'éditer son propre bulletin. Depuis 1995, nous sommes empêchées de publier les actes d'un séminaire sur la violence. Pourtant, depuis notre création, nous avons toujours tenté de jeter des passerelles vers les autorités. Nous leur avons transmis une copie du rapport sur la violence, mais nous n'avons jamais eu de réponse. Nous avons aussi demandé à rencontrer des responsables. La ministre chargée de la Famille nous a reçues récemment et avait promis d'instaurer un partenariat durable. Nous attendons toujours un signe. D'ailleurs, elle était invitée à cette rencontre sur les femmes et les médias. Non seulement, elle n'est pas venue mais nous avons été privées de local. Par ailleurs, l'association a lancé une campagne contre le harcèlement sexuel et pour la mise en place d'une loi mais ses membres ont été refoulés du Parlement. Finalement, la loi est passée et ce, bien qu'elle ne soit pas bonne. Dans les coulisses, on admet le travail que l'association a effectué en faveur de ce texte, mais il n'y a jamais eu de reconnaissance officielle. En définitive, il suffit d'être autonome dans ce pays pour se retrouver en confrontation avec le pouvoir. Face à ce verrouillage, la médiatisation de vos actions au-delà des frontières de la Tunisie semble être votre ultime moyen de survie. Convier des associations algérienne et marocaine à un débat sur l'image de la femme dans la presse doit certainement concourir à la réalisation d'un tel objectif… Nous avons organisé cette rencontre pour plusieurs raisons. La Tunisie abritera en novembre prochain le Sommet mondial sur la société de l'information. Nous avons voulu anticiper ce rendez-vous en montrant qu'il est paradoxal qu'un pays où les libertés, notamment la liberté de la presse sont totalement bafouées organise un sommet qui, justement, vise à répandre l'information auprès des peuples du monde entier, grâce à la diffusion à grande échelle des nouvelles technologies. Dénoncer cet état de fait maintenant au moment où la Tunisie se trouve sous les feux des projecteurs est un moyen de pression sur le pouvoir. Par ailleurs, il va sans dire que nous, en tant que militantes des droits de la femme, n'avons pas accès aux médias. L'image des femmes y est stéréotypée. On y développe un discours discriminatoire. Nous avons donc l'espoir d'agir sur cette image. La troisième raison qui nous a poussées à organiser ce séminaire tient dans notre souci à ce que les femmes accèdent aux nouvelles technologies de l'information et de la communication. Or, sachant qu'elles sont les plus pauvres et compte tenu de leurs cadences de travail infernales, elles risquent de devenir les analphabètes de demain. La sensibilisation devient donc nécessaire. Avec nos camarades algériennes et marocaines, nous nous sommes engagées sur un projet global de trois ans visant la promotion de la condition de la femme maghrébine, incluant son accès aux NTIC. À ce propos, considérez-vous que l'image de la femme dans les médias est similaire dans les trois pays du Maghreb ? Nous savons que la situation n'est pas la même tout simplement parce que la presse tunisienne n'a pas la même liberté que les médias en Algérie ou au Maroc. Justement, il n'y a aucun compte rendu de cette rencontre dans la presse tunisienne. Elle est directement concernée pourtant par la problématique femmes-médias. Ce thème est-il hissé aussi au rang des tabous ? Il y a deux journalistes qui ont assisté aux travaux, mais n'ont pas rendu compte de leur contenu. Toutes les deux travaillent pour le Renouveau, un journal appartenant au parti au pouvoir — le Rassemblement constitutionnel et démocratique (RCD). Vous comprendrez tout. Comme d'autres associations de défense des droits de la personne en Tunisie, l'ATFD bénéficie du soutien des ONG internationales, dont un certain nombre a pris part d'ailleurs à l'ouverture de ce séminaire maghrébin. Cet appui vous est-il d'un grand secours ? C'est vrai que nous bénéficions d'un grand intérêt des organisations internationales. Cette mobilisation s'explique par la situation catastrophique que nous vivons en matière d'atteintes aux droits de l'Homme. Nous évoquions tout à l'heure le cas des avocats jetés en prison, mais ce ne sont pas les seuls. Les défenseurs des libertés dans notre pays font l'objet actuellement d'une offensive tous azimuts. S. L.