Plutôt que de déplacer la statue d'Aïn El-Fouara dans un musée, Azzedine Mihoubi suggère de placer dans un musée ceux-là mêmes qui prônent pareille idée. C'est sur un ton grave et tranchant que le ministre de la Culture, Azzedine Mihoubi, a apporté la réponse cinglante, jeudi, à l'Assemblée populaire nationale (APN), à une députée islamiste qui l'interpellait sur le sort qu'on devrait réserver à la statue d'Aïn El-Fouara, à Sétif, récemment vandalisée. À la députée islamiste qui suggérait ainsi de déplacer cette œuvre représentant une femme nue dans un musée, le ministre commencera d'abord par lui donner une leçon de déontologie en termes de pratiques institutionnelles : "Votre question orale, respectable madame, m'est parvenue, dans un premier temps, à travers les réseaux sociaux et ensuite à travers certains médias où j'ai pu m'en enquérir. Ce n'est que bien après que je l'ai reçue par le biais de ce canal institutionnel qu'est l'Assemblée populaire nationale." De la sorte, Azzedine Mihoubi voulait faire entendre à la députée en question, qu'il ne sied pas à une parlementaire siégeant dans une institution censée être représentative d'adresser à un ministre une question orale sur facebook, alors qu'elle dispose pour cela d'une tribune officielle. Cela s'agissant de la forme. Sur le fond, et la réponse est magistrale, Azzedine Mihoubi dira : "Ce n'est pas la statue d'Aïn El-Fouara qu'il faudra déplacer vers un musée, mais plutôt les gens qui suggèrent pareille idée." Il ajoutera sur le même ton ferme : "Je ne suis pas ici pour débattre sur le halal ou le haram (ce qui est toléré ou interdit dans l'islam, ndlr). Cette statue qui a fait l'objet, il y a environ trois mois, d'un acte de vandalisme occasionnant des dégâts sur certaines parties, ne sera jamais transportée au musée, car cela constituera un précédent grave qui ouvrira le champ à des opérations de déplacement de toutes les statues du pays au musée." Réalisée en 1898, par le sculpteur français d'origine italienne, Francis de Saint-Vidal, la statue d'Aïn El-Fouara a déjà fait l'objet de trois tentatives de vandalisme par des fanatiques islamistes, en 1997, en 2006 et tout récemment en décembre 2017. À cet effet, le ministre assurera : "La statue a été (cette fois-ci encore ndlr) restaurée à titre gracieux par des compétences relevant des établissements culturels en charge de l'archéologie et sera bientôt remise à sa place initiale." Mais voilà que l'intervention d'Azzedine Mihoubi était si percutante qu'elle a fini par provoquer un brouhaha chez les parlementaires de la mouvance islamiste, présents dans la salle. C'est ainsi que le député islamiste Hassan Laribi, qui a estimé que le ministre était allé trop loin dans son propos, interviendra pour interpeller le président de l'APN, Saïd Bouhadja, le sommant de couper la parole à Azzedine Mihoubi. Rien que cela ! Mais ce fut peine perdue pour lui, puisque le ministre poursuivra son allocution, répliquant du tac au tac : "Nous, nous parlons de la culture et de la civilisation, quant à la religion, il y a des personnes indiquées pour en débattre. Car la promotion de la culture ne doit pas s'encombrer de considérations religieuses. Cela pour ne pas transformer l'Algérie en un Afghanistan où des vestiges archéologiques millénaires ont été saccagés et vandalisés." Il y a lieu de rappeler qu'au plus fort des années du terrorisme, de telles revendications n'étaient pas portées par des voix dans des assemblées élues. Et même lorsque le FIS avait fait main basse sur les Assemblées populaires communales, au début des années 1990, les statues relevant de leurs communes n'ont pas été détruites ou déplacées. Le premier acte de saccage de la statue d'Aïn El-Fouara, en 1997, était un attentat terroriste. Vingt ans après, et lorsqu'on croyait être venu à bout de ce phénomène, c'est un "citoyen" jouissant de tous ses droits civiques qui porte la main destructrice sur cette œuvre centenaire, avant que des relais fanatiques siégeant à l'APN ne demandent de "voiler" cette statue ou de l'exiler dans un musée. Azzedine Mihoubi qui, jeudi, s'est montré ferme dans l'hémicycle Zighoud-Youcef, doit, certainement, savoir qu'avec les islamistes, plus le gouvernement cède, plus ils abusent. Parce que demain ils réclameront la destruction et de la statue et du musée. Mehdi Mehenni