“Nous avons l'obligation de qualifier les faits, et nous ne pouvons le faire qu'ensemble (...) Quand les faits seront établis, qualifiés, on pourra s'exprimer de façon claire, précise, comme cela a pu se faire dans tous les conflits du monde avec des peuples qui ont fait la paix, sinon ce n'est pas possible.” On l'aura sans doute compris : même s'il met un bémol, histoire de ne pas amplifier la polémique née de la sortie du Quai d'Orsay, lequel a appelé Alger au “respect mutuel” et au “devoir de vérité” suite aux déclarations du président de la République, Abdelaziz Bouteflika, à l'occasion de la célébration des massacres du 8 Mai 45, le secrétaire d'Etat français aux Affaires étrangères, Renaud Muselier, n'en suggère pas moins que la “repentance” de la France et sa “reconnaissance” des crimes commis en Algérie en 1945 n'interviendrait qu'une fois “les faits” établis et “qualifiés” par les chercheurs et les historiens. Et la référence “aux peuples du monde” laisse à penser que la France est même disposée, comme l'ont fait les Occidentaux par rapport aux victimes juives de l'Holocauste, à “qualifier” les crimes “par le vocable approprié” pour peu que “la vérité soit établie”. Mais aujourd'hui, du côté de l'Hexagone, on refuse de comparer les fours à chaux de Guelma aux fours crématoires utilisés par les nazis comme l'a fait le chef de l'Etat algérien. “Ce travail de mémoire fera en sorte qu'on qualifiera les choses de la même manière. L'histoire s'écrira, elle s'écrit, on ne peut pas construire sur des malentendus”, a indiqué Renaud Muselier lors d'un point de presse organisé mercredi soir à la résidence de l'ambassadeur de France à Alger. “Il s'agit d'apaiser les douleurs. Les historiens et les chercheurs ont la responsabilité du travail de vérité, et les deux gouvernements sont bien d'accord pour les encourager dans ce sens”, a-t-il ajouté. Raison de la frilosité des Français à la comparaison des crimes du 8 Mai 45 à ceux commis par les nazis : les pressions de certains cercles en France. “Chez nous, on parle de guerre d'Algérie et vous, vous parlez de guerre de décolonisation (…). Chacun s'exprime comme il estime devoir le faire. Nous avons dans chacun de nos pays une opinion publique sensible”, a-t-il dit non sans évoquer “des hypersensibilités et des codes de lecture qu'il faut aussi respecter”. Mais en “dépit” de ce qui peut être perçu comme “une tempête dans un verre d'eau”, la France et l'Algérie entendent bien, selon le représentant du Quai d'Orsay qui les compare à un corps humain sur les deux jambes, aller de l'avant en perspective du traité d'amitié dont la signature est prévue avant la fin de l'année en cours. “Il faut toujours garder son calme et son sang-froid. Il faut savoir ce que l'on veut. Nos peuples, nos dirigeants veulent travailler ensemble et vivre ensemble en paix”, estime M. Muselier. Un traité pour lequel les autorités algériennes s'y emploient. “La mobilisation des autorités algériennes pour le traité est totale, sincère, intense, réelle et loyale”, a indiqué le diplomate français. Et de préciser qu'“il faut aller vite, mais il faut qu'on s'entende”. Interrogé sur la question des archives, Renaud Muselier a indiqué que des accords concrets ont été réalisés et que la France est prête à livrer des “tranches” en fonction de la demande algérienne. M. Muselier, qui s'était auparavant recueilli sur des sépultures françaises, notamment à Annaba, a annoncé dans le même contexte le détachement d'un technicien auprès de la Direction des archives algériennes pour la numérisation de l'état civil français en Algérie. Enfin, sur la sortie du ministre français de l'Intérieur Dominique de Villepin à propos de l'immigration, il a estimé qu'“il n'y a pas de démarche particulière à l'égard des réguliers, mais que le contrôle des frontières est légitime”. “Il faut être ferme pour prévenir l'immigration clandestine, mais il n'y a pas de contradiction avec celui qui veut visiter ou étudier”, a-t-il conclu. Par ailleurs, il a annoncé l'ouverture dans deux ans du consulat d'Oran. K. K.