Le Pr Zaïm Khenchelaoui, chercheur anthropologue spécialiste des religions, ne lésine pas sur les mots pour tirer la sonnette d'alarme sur les dangers du salafisme en Algérie. Son analyse vient éclairer certains voiles si peu évoqués. Liberté : Considéré comme une figure du salafisme algérien, Mohamed Ali Ferkous a, récemment, déclenché une tempête de critiques après avoir publié sur son site un texte dans lequel il excluait de l'islam sunnite tous les musulmans qui ne suivraient pas les "préceptes" de son courant. Quelle est votre réaction ? Zaïm Khenchelaoui : Cet épisode fait écho au congrès tenu à Grozny en 2016 sous le double patronage de Ramzan Kadyrov et Vladimir Poutine. Ce fut le premier synode de l'islam, hélas, passé sous silence. Plus de 200 dignitaires se réclamant du sunnisme avaient pris part à cette réunion dont Cheikh al-Azhar. Ils avaient tous déclaré le wahhabisme comme hétérodoxe à l'islam. Les salafistes, qui n'ont jamais digéré cette fatwa historique, semblent enfin prendre leur revanche. Ils contre-attaquent. Ferkous n'en est pas à ses premières attaques. Déjà, en janvier dernier, il avait appelé à bannir Yennayer. D'aucuns estiment que ces sorties entrent dans un cadre de déstabilisation interne... Le contraire m'aurait surpris de ceux qui voudraient codifier nos sociétés pour mieux les contrôler, les manipuler et les téléguider. Vider la foi de sa sève divine, tel est leur credo. Formater les musulmans vestimentairement, comportementalement et psychologiquement, voire linguistiquement en les coupant de leurs racines. Résultat : des milliers de manuscrits brûlés et des dizaines de mausolées démolis à Tombouctou, sans parler des dégâts perpétrés en Afghanistan, en Syrie et en Irak, bref, partout où persiste une trace de civilisation. Cette fois, il a fait réagir beaucoup de monde. De l'Association des oulémas au ministre des Affaires religieuses et des Wakfs, en passant par les partis de la mouvance islamiste, beaucoup sont montés au créneau sans pour autant remettre en cause les "idées" du prêcheur. Qu'en pensez-vous ? C'est l'arroseur arrosé. Subir le contrecoup de ses propres actes. Nous assistons, aujourd'hui, à une campagne d'apostasie généralisée qui n'épargne plus personne. Evidemment que nous sommes abasourdis par les déclarations et les surenchères des uns et des autres. Mais à quoi bon ? Le mal est fait ! Le wahhabisme part du principe que la meilleure défense c'est l'attaque. Conclusion : si l'islam est la religion d'Etat, le salafisme sera la religion du peuple. Cette tendance à diviser et à provoquer survient un peu plus de deux mois après avoir été désigné officiellement par le Saoudien Mohamed El-Hadi Ben Ali al-Madkhali, chef de la secte "madkhali", comme l'un des trois représentants de la salafia en Algérie. Une intronisation qui vient confirmer la facilité que se donne le royaume wahhabite pour s'immiscer dans les affaires internes du pays. Une riposte officielle et également de la part de la société civile ne devrait-elle pas être actionnée ? Le wahhabisme quittera tôt ou tard la péninsule arabique. Mais pour aller où ? Là est toute la question. Or, il se trouve que ce big-bang, en gestation risquerait de l'affaiblir là-bas pour le renforcer ici. Ce qui expliquerait ces manœuvres dont le but caché serait d'assurer son ancrage permanent sur nos terres. Tel un déchet radioactif, tout le monde veut se débarrasser du salafisme. Malheur donc à celui qui en prendra plein la figure ! Toute cette polémique survient alors que le prince héritier d'Arabie saoudite, Mohamed ben Salmane, vient de révéler au Washington Post, le 25 mars dernier, que Riyad avait propagé l'idéologie wahhabite à la demande des Occidentaux. Un aveu qui devrait remettre en cause l'existence même du courant salafiste. Est-ce la fin d'un canular ? Avec ces déclarations fracassantes mais ô combien sincères et prometteuses, on devrait enfin pouvoir tourner la page de ce cauchemar planétaire et renvoyer tous ceux qui se réclament de cette secte criminelle au chômage technique, à défaut de les jeter en prison pour haute trahison. Allez, soyons fous et savourons cette nouvelle ère qui nous attend. Quels sont les remèdes, selon vous, qui devraient être appliqués pour contrer ces courants rétrogrades dont les effets négatifs sont bien visibles dans le quotidien des Algériens ? La solution est simple. Nos imams ne sont-ils pas des fonctionnaires ? Ils devraient répondre à un cahier des charges qui consiste à prêcher une foi autochtone. Permettez-moi de vous donner cet exemple : l'autorité la plus citée dans nos mosquées, c'est Ibn Taymiyya, théoricien du salafisme et donc du terrorisme, mort en prison à Damas en 1328 pour radicalisme ! Est-ce normal ? Il suffit pourtant de bannir son nom. C'est ce qui se fait en Turquie où les imams ont pour fonction de catéchiser un islam orthodoxe conforme à la mentalité turcophone. Personne ne déroge à cette règle régalienne sous peine de se faire radier. Il devrait en être de même chez nous en Algérie, fière et berbère, fidèle à un islam maraboutique avec le soufisme comme garant de stabilité, facteur d'apaisement et promoteur du vivre ensemble. Entretien réalisé par : Salim KOUDIL @SalimKoudil Lire également: "Salafisme : la réalité d'une menace"