Une liste de 17 syndicats déclarés "conformes" à la loi et une autre de 13 autres "non conformes" ont été dressées. Désormais, ils sont interdits de prendre part aux négociations avec la tutelle ou d'observer des grèves. "Faut-il casser le thermomètre pour empêcher la fièvre de monter ?" C'est à cette métaphore qu'a eu recours un syndicaliste pour schématiser le recours du gouvernement à des artifices légaux pour endiguer la contestation sociale qui a gagné plusieurs secteurs de l'administration publique à l'éducation nationale et à la santé, en passant par le monde économique. Nombre de syndicats interrogés sont convaincus, en effet, que le gouvernement veut donner un tour de vis supplémentaire à la liberté d'exercice syndical. Et qu'après avoir usé de son bras légal qu'est la justice pour déclarer illégaux les mouvements de protestation, souvent par jugement en référé du tribunal administratif, il s'est, en effet, résolu à neutraliser toute propension de revendication chez certains syndicats. Ils en veulent pour preuve l'opération initiée par le département de Mourad Zemali de faire obligation aux organisations syndicales agréées de présenter les éléments prouvant leur représentativité de 20% des travailleurs. Une procédure habituelle contenue dans la loi 90/14 portant gestion des conflits de travail, mais qui a eu pour effet surprenant de diviser les syndicats en deux collèges. Résultat : une liste de 17 syndicats déclarés "conformes" à la loi et une autre de 13 autres "non conformes", auquel il est désormais interdit de prendre part aux négociations avec la tutelle ou d'observer des grèves. Mais le hic est que sont déclarés non représentatifs cinq syndicats relevant du secteur de l'éducation (qui ont fait leurs preuves sur le terrain de la contestation, à l'instar du Cnapeste, du Snapest et de l'Unpef). Pour Meziane Meriane, le coordinateur national des professeurs de l'enseignement secondaire et technique (Snapest), il y a manifestement, à travers cela, une tentative de "reconfigurer le monde syndical d'en haut alors qu'il doit l'être à partir de la base ouvrière". Et pour battre en brèche cette démarche du ministère du Travail, le dirigeant du Snapest se base sur des statistiques récentes du monde du travail, que le taux de syndicalisation total en Algérie "ne dépasse pas les 15%". Partant de ce postulat, il estime même que l'Union générale des travailleurs algériens (Ugta), par exemple, dont le pourcentage doit être calculé par rapport à tous les ouvriers algériens dans le secteur public et le secteur privé, n'atteint pas 20%. Donc, l'Ugta ne serait pas représentative ! En revanche, en tant que syndicat de corporation de l'enseignement secondaire, le Snapest "peut atteindre 20%", parce que son pourcentage sera calculé par rapport au nombre de professeurs de l'enseignement secondaire. Selon lui, cette méthode est révolue dans le monde entier, car, en définitive, estime-t-il, "c'est l'action sur le terrain qui détermine la représentativité et non pas les chiffres". En rappelant les détails de cette opération, Meziane Meriane a estimé que la plupart des syndicats ont été pris par le temps, puisqu'il s'agit d'une nouvelle méthode qui consiste à donner la date de naissance de l'adhérent, et son numéro de Sécurité sociale, alors qu'auparavant, il s'agissait juste de donner les noms, le nombre par wilaya et au niveau national. "Or, on nous place dans la catégorie de ceux qui ne sont pas conformes à la loi", a-t-il indiqué. En définitive, "s'ils déclarent que les syndicats représentatifs ne sont pas légaux, il risque d'y avoir des grèves qui ne seront pas contrôlées. Si vous refusez un interlocuteur connu, vous allez avoir affaire à des milliers d'enseignants et d'ouvriers en grève et vous ne saurez pas à qui parler. Voilà le danger qui guette le monde du travail et la paix sociale", conclut-il. "Le ministère du Travail devrait plutôt jouer son rôle de médiateur..." Ne figurant sur aucune liste, le Conseil des enseignants des lycées d'Algérie (Cela) répond, par son président Idir Achour, que "ce n'est pas au ministère du Travail de décider qui est représentatif et qui ne l'est pas". Aussi, dit-il, "ce sont eux qui ne sont pas conformes à la loi dans ce qu'ils exigent aux syndicats. Le ministre du Travail doit se limiter à ses prérogatives. Nous sommes conformes à la loi parce que c'est le ministère du Travail qui nous a donné le récépissé d'enregistrement, mais la représentativité du syndicat, c'est à l'employeur de l'apprécier. Et mon employeur, jusqu'à preuve du contraire, est le ministère de l'Education nationale, donc c'est à lui de dire si nous sommes représentatifs". D'après lui, le ministère du Travail devrait plutôt "jouer son rôle de médiateur, lorsqu'il y a un conflit de travail entre le syndicat et l'employeur". Cette procédure est prévue par la loi 90/14, qui parle de la représentativité syndicale et du droit à la négociation, mais ce n'est pas au département du Travail de l'appliquer, elle est du ressort de l'employeur et du syndicat, dans le règlement du conflit de travail. Au niveau politique, Idir Achour considère que "le gouvernement, et donc les détenteurs du pouvoir, veut mettre fin au droit de grève en Algérie, et à tout mouvement social et d'opposition, en procédant à la loi de la force et non pas à la force de la loi". Et de là, cette procédure préfigure le code du travail en préparation, puisque notre interlocuteur pense que c'est déjà une application de l'avant-projet de loi sur le travail qui ne dit pas son nom. Le secrétaire général du Syndicat autonome des personnels de l'éducation et de la formation, Boualem Amoura, n'en pense pas moins. Ce syndicat, membre de l'intersyndicale, indique que la prochaine Fête des travailleurs, qui coïncide avec la date du 1er Mai, est "une journée de deuil". Notre interlocuteur, qui s'est posé la question "Pourquoi maintenant ?", estime qu'"on a laissé faire comme ça pendant 30 ans, et à l'approche de l'élection présidentielle de 2019, on nous sort toute une armada pour nous faire taire". Et d'expliquer : "Nous sommes des syndicats des travailleurs qui vivent des cotisations de nos adhérents. Nous n'avons pas les moyens dont dispose le syndicat du pouvoir pour mener à bien cette opération." D'après ses dires, cette opération relève d'"une incompétence du ministère du Travail", en précisant qu'"à travers cette demande des numéros de Sécurité sociale, le département du Travail reconnaît implicitement qu'il y a des travailleurs de la Fonction publique qui ne sont pas déclarés, et qui travaillent clandestinement". De plus, selon le SG du Satef, "les jeux étaient faits d'avance". Il juge "aberrante" cette liste de syndicats non conformes à l'exemple du Cnapeste qui, lorsqu'il a entamé sa grève, a été supplié de reprendre les cours, puis est déclaré non conforme. Alors que certains syndicats déclarés représentatifs n'ont organisé ni assemblée générale ni congrès depuis longtemps. Pour ces raisons-là, l'Intersyndicale autonome n'a rien prévu pour la Fête du 1er Mai, hormis une conférence pour répondre aux allégations du ministre du Travail qui se dit au-dessus de la Constitution, en déclarant que celui qui n'a pas la représentativité n'a pas le droit de faire grève, alors qu'elle est garantie par la Constitution, indique une source proche de l'Intersyndicale, qui conclut que la Journée internationale du travail est déclarée "journée de deuil" pour les travailleurs algériens. A. R. [email protected]