Les médecins rencontrés avouent qu'il est pénible de continuer à assurer leur tâche sans les résidents qui sont considérés comme un maillon fort du système de garde dans les CHU. Qu'en est-il de la situation des hôpitaux huit jours après la suspension des gardes par les médecins-résidents ? Comment les malades sont-ils pris en charge durant le week-end et de nuit ? Comment les équipes médicales d'urgence sont-elles organisées face au grand vide laissé par les futurs spécialistes qui ont entamé hier le sixième mois de débrayage ? Une simple tournée effectuée samedi en fin de journée dans les hôpitaux d'Alger-Ouest a suffi pour constater que les CHU sont sous haute pression. La situation est extrêmement difficile, voire insoutenable dans certains établissements. Ces grandes structures sanitaires de la capitale fonctionnent avec un effectif de garde réduit et saturé. L'on a assisté à des scènes symptomatiques qui renseignent bien sur l'impact de l'arrêt d'activité de garde par les résidents. Le CHU Djilali-Bounaâma de Douéra donne, samedi en début de soirée, l'impression d'être carrément vidé de son personnel habituel. Combler le déficit des médecins grévistes aux urgences notamment reste une mission difficile à réaliser. Les accès exigus depuis l'entrée nord de l'hôpital étaient pratiquement déserts, avant d'atteindre le parking attenant au service des urgences d'orthopédie et de traumatologie ou de nombreuses voitures sont pêle-mêle parquées. Le vétuste baraquement dédié aux urgences grouille de monde. Un médecin assistant, qui affiche une mine épuisée, tente de raisonner un malade qui se dit pressé et veut passer avant les autres. "Il faut d'abord prendre son jeton et attendre son tour. Tous les gens qui sont là, présentent des cas graves et urgents, alors tâchez de respecter l'organisation mise en place dans l'intérêt du malade", lancera affablement l'orthopédiste, visiblement exténuée après plus de 12 heures de garde. Quatre agents de sécurité placés à l'entrée de la salle de consultation tentent tout de même de tromper l'impatience des accompagnateurs qui crient à tue-tête. "Nous essayons d'organiser l'ordre de passage des malades chez le médecin. Cette organisation est mise en place dans l'intérêt du malade et cela permet d'éviter aux malades d'affronter des situations de confusion", pestera un agent débordé par les malades qui affluent sans répit. Jusqu'à 19 heures déjà, les trois assistants et les deux internes mobilisés ont examiné plus de 100 cas urgents, entre fracture et luxation. Le dévouement de l'équipe de garde a contribué, dit-on, à gérer, un tant soit peu, une certaine anarchie aux portes d'un service victime de sa notoriété pour paraphraser un médecin assistant qui était, au bout du rouleau, après plus de 12 heures de service. "Nous sommes trois assistants réquisitionnés de 8 heures du matin jusqu'à demain (hier dimanche). Deux chirurgiens orthopédistes, un rééducateur fonctionnel doivent faire face à un nombre incessant de malades. Nous faisons le travail de sept personnes. Plus de cent patients déjà examinés et traités. Nous avons d'ailleurs un cas à opérer que nous avons différé. Nous sommes vraiment débordés, nous recevons des malades de partout de Sidi Ghiles, de Bou-Ismaïl, de Koléa et, bien sûr, du sud et du sud-ouest d'Alger. Et la nuit est encore longue", compatira l'un des assistants. Et d'enchaîner : "Demain matin, après une garde de 24 heures, nous reprendrons directement notre activité médical de jour dans le service. Nous travaillons non-stop." Cette situation, à la limite de l'impossible, ne risque-t-elle pas de se corser si cette dure épreuve persiste encore dans le temps ? Le collectif des médecins spécialistes du CHU de Douéra a tenu, d'ailleurs, à alerter, par le biais d'un communiqué rendu public hier, le DSP et le wali d'Alger sur les conséquences qui découleront du rythme de travail qui leur a été imposé. "Pour faire face à cette crise sans précédent, nous avons prévu des solutions qui ne peuvent malheureusement être que temporaires pour garantir le service minimum, et ce, jusqu'au 6 mai. Au-delà de cette date, nous dégageons toute responsabilité car il nous sera impossible physiquement, mentalement, humainement de répondre aux besoins de patients", peut-on lire dans la déclaration des assistants de Douéra. Ces médecins spécialistes qui travaillent en continu, risquent, dit-on, le burnout (l'épuisement professionnel). Les spécialistes de médecine rappellent, par définition, que la surcharge et la désorganisation du travail ont aussi une influence directe sur la santé mentale et physique du travailleur. Au service des urgences médicales où un box est ouvert pour les urgences de médecine interne, un médecin généraliste, assisté de deux résidents en qualité d'observateurs, fait face à des cas urgents d'hypo ou d'hyperglycémie ou encore de cardio. "Je suis une généraliste assez expérimentée, donc je suis en mesure de gérer des cas graves qui se présentent au service. Trois malades graves ont, d'ailleurs, été évacués vers le CNMS de Clairval pour un traitement intensif. Sinon les cas de grippe ou de simple angine, nous les orientons vers le dispensaire mitoyen avec l'hôpital", confiera cette médecin généraliste de garde. Plus loin notre interlocutrice a avoué implicitement qu'il est vraiment pénible de continuer à assurer la tâche sans les résidents qui restent le maillon fort du système de garde dans les CHU. La situation est devenue insupportable La réalité du terrain bat en brèche le discours d'assurance tenu par le ministère de tutelle qui rappelle que les pouvoirs publics ont pris toutes les mesures nécessaires pour gérer une situation inédite dans les hôpitaux. Le poids de la grève des futurs spécialistes se fait fortement ressentir dans les urgences du CHU de Beni Messous où un silence pesant règne à l'entrée de l'établissement. Ce calme précaire a été vite troublé par des scènes révélatrices et des cris de malades au service des urgences d'EFR (Exploration fonctionnelle respiratoire) qui accueille des personnes en proie à des crises d'asthme. "J'ai fait une insuffisance respiratoire il y a une semaine. J'ai dû passer cinq jours sur une chaise en salle d'observation. En fait, j'ai été hospitalisé sur une chaise. Après avoir protesté, on m'a installé dans cette salle dite bloc de ponction. En réalité, je suis alité sur un brancard recouvert d'un drap. Mon cas nécessite une hospitalisation et des soins intensifs", dénoncera un asthmatique originaire d'Alger-Centre. Après avoir décliné notre profession, son frère, qui fait office de garde malade, prend le relais pour déplorer les maux qui rongent les CHU de la capitale. "Mon frère était abandonné, aucun soin ne lui a été administré. Alors j'ai demandé son dossier pour l'évacuer ailleurs, vu que sa prise en charge se limite juste à sa mise sous perfusion de sérum avec quelques gouttes d'Astalin. On m'a d'ailleurs demandé d'aller acheter un flacon d'Astalin, puisqu'il n'est pas disponible dans le service. On parle de pénurie dans ce service. Où va-t-on comme ça ? Personne ne s'inquiète." En salle d'observation, quatre malades hommes et une femme sont cloués, avec un masque à oxygène, à même des chaises longues à défaut de lit. "Ces malades dorment sur des chaises", dénoncera encore notre guide du jour. Nous avons voulu nous entretenir avec le médecin spécialiste, mais elle était, dit-on, en réunion avec la directrice de garde de l'hôpital. Nous avons marqué une autre halte aux urgences chirurgicales de Beni Messous, histoire de prendre le pouls de ce service qui, d'habitude, grouille de monde. "Aujourd'hui, Dieu merci, c'est calme, je touche du bois. Aucun cas grave à opérer", nous confiera un maître assistant qui a requis l'anonymat et qui devait achever sa garde vers 18h. "Depuis l'arrêt des gardes par les résidents, je me suis retrouvé à faire des choses que je faisais il y a 20 ans, au début de ma formation." La garde dans ce service est assurée par un professeur, un maître assistant et deux étudiants de septième année de médecine. Le seul fait marquant ce samedi aux urgences chirurgicales a été le transfert de deux personnes décédées. Il s'agit, en fait, d'un gardien de parking tué à Chéraga par un automobiliste et d'un adolescent qui s'est noyée dans un plan d'eau à Ouled Fayet. Le bâtiment abritant les urgences médicales regorge de monde. Des familles, jetons en main, attendent d'être examinées par le médecin généraliste affecté au service. Le vide laissé par les résidents est ahurissant. Déclinant notre profession, un médecin spécialiste de garde nous avoue que les choses s'accomplissent difficilement. "Plus rien ne va depuis le début de la grève des résidents, mais leur grève est légitime. Ils militent pour une cause juste. Aucune minute de répit depuis ce matin. Aujourd'hui il n'y a qu'un seuil généraliste pour examiner une centaine de patients, ce n'est pas du tout évident. La situation est devenue insupportable", regrettera la spécialiste. Un citoyen nous prend à témoin : "Ce matin, c'était la débandade dans les urgences. Il y avait beaucoup de monde. Le personnel réquisitionné ne pouvait pas faire face. Le personnel réquisitionné ne suffit pas." Ce constat désolant est partagé par des professionnels de la santé qui ont requis l'anonymat. La situation dans les hôpitaux a empiré après le 29 avril avec l'arrêt des gardes par les résidents, puisque le système des gardes dans les CHU repose sur les futurs spécialistes en formation de résidents. Nous avons tenté d'approcher la direction de l'hôpital pour nous imprégner du schéma organisationnel mis en place pour pallier la grève des résidents et, du coup, assurer le service minimum, mais la responsable du jour du CHU Issaâd-Hassani nous a exigé, au préalable, l'accord du directeur général de l'établissement qui n'était pas là samedi. Les médecins assistants tiennent tant bien que mal le coup, mais jusqu'à quand ? H. H.