Le monde musulman est face à des défis sans précédent. Dans les cœurs des croyants la foi résiste, pour donner du sens au vivre-ensemble, mais ce monde est agressé, déstabilisé, comme disloqué. Pour bâtir la culture de la paix, l'islam s'est propagé en mettant l'accent sur l'unité morale, en respectant la diversité et la dignité des peuples. Il se voulait une révolution culturelle, en rupture avec les anciennes visions et les systèmes qui sombraient dans l'écrasement de l'humain et l'idolâtrie. Les musulmans fondèrent un empire de la grandeur en s'appuyant sur les savoirs temporel et spirituel. Sur la base de ses principes fondés sur l'Unicité, la Miséricorde et la Voie médiane, pour réaliser la paix, son souci d'instaurer des pactes et des mécanismes de négociation et de régulation, il oriente à la culture de la paix. Le Coran emploie souvent la notion moderne de pacte, ahd, et des notions proches comme mithaq, engagement, et aqd, contrat pour orienter vers la coexistence. Respect de la liberté Les musulmans savent que Dieu n'a pas fondé la foi sur la contrainte, mais sur la liberté : "Et si ton Seigneur l'avait voulu, tous les hommes peuplant la Terre auraient, sans exception, embrassé Sa foi ! Est-ce à toi de contraindre les hommes à devenir croyants, alors qu'il n'appartient à nulle âme d'acquérir la foi sans la permission du Seigneur, qui couvrira d'opprobre ceux qui ne veulent pas comprendre ?" (10-99/100). C'est cela qui mérite d'être enseigné. Il est impensable de refuser le droit au libre choix et d'imposer la foi en utilisant la force. Cela contredit la base de la religion, la libre et sincère intention. Dans le déroulement de la vie de tous les jours, le Coran appelle à "ordonner le recommandable et à réfuter le blâmable" (3-110), en premier lieu à nous-mêmes. C'est cela aussi assumer ses responsabilités dans la Cité face aux contradictions, aux pressions et aux difficultés. Il n'y a pas eu une seule voie de propagation de l'islam. Missionnaires prédicateurs, enseignants pédagogues, commerçants vertueux et soldats pieux, constituaient les quatre figures de ceux qui ont permis à l'islam de se propager. Les musulmans du temps du Prophète puis de ses compagnons, ont eu pour mission de transmettre la révélation, d'informer et d'avertir le monde. Ce fut le temps de l'expansion, la naissance de l'empire musulman. Ce ne furent pas de simples missionnaires. Ils ont pris la précaution de sécuriser les frontières de l'Arabie et de garantir leur droit à s'exprimer en s'organisant en groupes de cavaliers aptes à se défendre. Ils étaient porteurs de missives écrites, de la part du Prophète, puis de chaque calife, afin d'annoncer la religion musulmane et la République de Médine. Ils se défendaient contre ceux qui les agressaient, et leur interdisaient de transmettre le Message. Le caractère universel de l'Islam a contribué à son essor rapide à travers le monde. La Révélation s'adresse à toute l'humanité. La tolérance au sens fort, c'est-à-dire le respect du droit à la différence n'est pas une simple valeur morale ou sociale, mais une obligation religieuse, en tant qu'impératif juridique énoncé par le Coran et la sunna. Par la persuasion et les bienfaits du dialogue s'exerçait la prédication. L'état décadent du monde d'alors, le sens du message coranique, l'attitude humaniste et la force de conviction des musulmans, jointe au respect des religions et cultures locales, ont permis une expansion fulgurante : "S'ils se tiennent à l'écart, s'ils ne combattent pas contre vous, s'ils vous offrent la paix, dans ce cas Dieu ne vous donne plus aucune raison de lutter contre eux" (4-90). Dès l'aube de la Révélation en 610, le Message opère une rupture radicale avec les mentalités anciennes, il s'adresse universellement à la raison et au cœur, aux parties hautes de l'humain. Expansion fulgurante La plupart du temps, l'Islam fut perçu comme émancipateur. Les populations accueillaient le plus souvent les musulmans comme des libérateurs. La force du Message coranique, l'égalitarisme, la cohérence entre raison et foi, le respect des "religions du Livre", et la magnanimité des musulmans gagnent les cœurs. C'est le début d'une expansion de l'éthique spirituelle sans précédent. Des historiens et anthropologues orientalistes comme Thomas Arnold (1864-1930) dans La Prédication de l'islam : histoire de la propagation de la foi musulmane, Will Durandt (1885-1981) dans L'Histoire de la civilisation et Gustave Le Bon (1841-1931) dans La Civilisation des Arabes démontrent que l'Islam s'est plus propagé par le bel-agir, la conduite humanitaire que par la force de l'épée. Ils reconnaissent que loin de chercher à imposer par la violence leur croyance aux autres peuples, l'islam respectait leur foi, leurs usages et leurs coutumes. La civilisation musulmane a surpris tous les historiens. Soixante-dix ans après le Prophète (sws), au VIIIe siècle, 1er siècle de l'Hégire, dès l'an 712, elle était présente de la Chine à l'Espagne. Ce ne fut pas grâce à la seule force du sabre. Dès 632 le premier calife Abou Bakr (632-634), à la suite du Prophète, ordonne de propager la bonne parole, le Message coranique, en direction des territoires romains et chrétiens et de la Perse païenne, en respectant la dignité des populations et le droit à la différence. À partir de 711, les Amazighs, musulmans exemplaires, participent à l'expansion vers l'Europe et l'Afrique subsaharienne. Au même moment, la percée musulmane en Inde et en Asie centrale se poursuit. En 711, les premiers contingents berbères et arabes passent en Andalousie dirigés par Tariq ibn Zyad. Ils franchissent le détroit de Gibraltar. Ce soufi guerrier amazigh ordonne la destruction de sa flotte navale par le feu, geste resté célèbre, et prononça cette phrase mémorable : "L'ennemi est devant vous et la mer est derrière vous." Il conquiert l'Espagne sur la base d'une seule bataille à Cadix. Sa priorité était de convaincre, d'enseigner la doctrine musulmane, de fonder des institutions du savoir et semer la culture de la paix. En Asie, l'expansion se renforce à travers les voyages des commerçants, des soufis et des missionnaires. Les musulmans menés par les troupes de Qutayba ibn Muslim, conquirent vers 710 les territoires des actuels Ouzbékistan et Kirghizistan. Ils entrent au contact des Chinois pendant le règne du premier abbasside Abou al-Abbâs. Une seule victoire en 751 à Talas a permis aux musulmans de régner. Ils ont étonné par leur humanisme et leur courage. La ville de Samarkand d'Ouzbékistan, conquise en 710, sur la Route de la soie, entre la Chine et la Méditerranée, sera le centre de production du papier du monde musulman et un carrefour des cultures arabes et asiatiques. Comme le sera Tombouctou entre le Maghreb et l'Afrique, Cordoue entre l'Europe et l'Afrique. Après l'ère naissante de la civilisation musulmane à Médine, deux dynasties islamiques vont marquer le monde. La première l'Omeyyade à Damas de 661 à 750, et la deuxième à Bagdad de 750 à 1258. Ils ont enseigné l'Islam, humanisme spirituel fondé sur le refus de toutes idoles et polythéismes, y compris aux peuples de l'Asie centrale qui pratiquaient le zoroastrisme. Presque partout l'Islam est accueilli comme libérateur. Ainsi commença l'ère de la grandeur de la civilisation musulmane de la culture de la paix. Aujourd'hui le repli est visible. Le défi est de lier authenticité et modernité, pour reprendre une juste place dans le monde. M. C. À suivre. (*) Professeur des universités, auteur de Le Prophète et notre temps, Anep, Alger, 2012.