Dans cet entretien, Yassine Benadda, économiste, analyse les principales mesures budgétaires et fiscales contenues dans l'avant-projet de loi de finances 2019, dont nous avons pu obtenir une copie. Pour lui, l'agenda politique de 2019 a pesé de tout son poids dans les choix budgétaires du gouvernement pour 2019. Il n'exclut pas, cependant, que l'Exécutif revienne à la mi-2019, une fois que les affaires de succession auront été réglées, avec une loi de finances complémentaire porteuse de certaines réformes mises au frigo pour des considérations politiques. Liberté : Dans l'avant-projet de loi de finances 2019, le gouvernement a décidé de maintenir inchangée sa politique budgétaire qui consiste à augmenter le budget de fonctionnement et celui consacré aux transferts sociaux, alors qu'il s'était engagé, rapporte le FMI dans son dernier rapport, à reprendre dès 2019 les mesures d'assainissement budgétaire. Le gouvernement ne s'éloigne-t-il pas, d'un pas de plus, des principes de la rigueur budgétaire qu'impose la conjoncture ? Yassine Benadda : Effectivement, la mauvaise conjoncture économique actuelle incite aisément à un assainissement des finances publiques ainsi qu'à un élargissement des réformes sur les subventions en protégeant les populations modestes. Sur ces points, le gouvernement continue la trajectoire budgétaire entreprise depuis deux décennies en augmentant les dépenses de fonctionnement et en limitant les réformes sur les subventions. La dépense publique dans la LF 2019 apparaît comme une composante du processus électoral à venir, il est donc impensable d'imaginer des réformes avant la LFC. Au-delà du calendrier électoral, le gouvernement devait entreprendre des mesures d'amélioration de la qualité des dépenses par la réorientation des ressources vers les domaines qui jouent un rôle essentiel dans la croissance économique. En effet, les politiques économiques basées uniquement sur l'austérité ont relativement échoué en zone euro. L'austérité seule peut nuire aux finances d'un Etat et à l'économie en général ; moins de dépenses publiques, c'est moins de revenus pour les ménages et les entreprises, ce qui conduit au ralentissement de la production, de l'investissement et des embauches. En effet, la rigueur est efficace en période de croissance, mais la rigueur ne peut pas être une source de croissance. La rigueur doit donc accompagner la croissance. À ce titre, l'exemple de Portugal est une bonne illustration, puisque leur réussite économique est une bonne adéquation entre une politique industrielle orientée à l'export, une politique d'investissement dans le tourisme, des réformes structurelles ainsi qu'une politique de relance par la demande et ceci en réussissant à amener son déficit à 1,5% du PIB en 2017 quand celui de l'Algérie serait de 9,2% du PIB en 2019. C'est donc vers l'efficience budgétaire que nous devons converger nos efforts afin de rendre la dépense publique utile pour répondre aux nouvelles demandes de services publics, pour aider notre industrie, stimuler notre effort de recherche et conforter le pacte social. Le gouvernement fait le choix, en revanche, de couper davantage dans le budget d'équipement et de l'investissement, n'hésitant pas ainsi à pénaliser la croissance et l'emploi. Comment interprétez-vous cette mesure ? Le secteur public est un investisseur important pour ne pas dire quasi unique en Algérie avec l'avantage de pouvoir être un acteur contra-cyclique. Par nature, l'investissement agit à la fois sur l'offre et sur la demande. Il a la capacité de rehausser de manière permanente le niveau du PIB. À titre d'exemple, selon l'OFCE, une hausse 1% du PIB d'investissement public en France générerait une hausse de 1,1% de PIB à trois ans et une réduction de 245 000 chômeurs. Le projet de LF 2019 en Algérie accorde une part croissante du budget de l'Etat, qui est alloué à des dépenses de fonctionnements + 7,5% par apport à la loi de finances 2018, menant à une baisse préoccupante de l'investissement de -6,1%. Ainsi, les investissements enregistreraient une baisse de 20% de 2016 à 2019. Par conséquent, la continuité de la réduction des dotations de l'Etat risquerait d'avoir un effet domino sur l'économie nationale. Une réduction aussi drastique a probablement déjà eu des effets négatifs sur l'économie nationale et finira par coûter encore plus cher au pays, en termes de baisse de la croissance et d'augmentation du chômage. Les mesures du gouvernement sont donc plus du clientélisme politique en période électorale qu'une politique économique. Le paramétrage macroéconomique des trois prochains exercices 2019-2021 fait ressortir une accélération de la fonte de réserves de change. Le solde attendu pour 2019 se situerait à 62 milliards de dollars, à 47,8 milliards de dollars en 2020 et à 33,8 milliards de dollars en 2021. Un tel tableau de bord accrédite-t-il un imminent retour à l'endettement extérieur ? Au vu du paramétrage macroéconomique des trois prochains exercices 2019-2021, l'endettement du pays est malheureusement inévitable. Toutefois, le recours à ce type d'instruments doit se fonder sur des considérations de nature politique favorable, et dans le cadre de réformes majeures ainsi que de stratégie d'investissements d'avenir qui permettront de répondre aux enjeux de développement économiques hors hydrocarbure, de croissance, d'emploi et de stabilité monétaire et financière. À défaut, cela conduirait à financer des déficits publics par la dette extérieure, ce qui serait dangereux. Au vu des échéances électorales de 2019 et de la mauvaise conjoncture du pays, un emprunt obligataire de l'Etat pourrait être interprété comme une mauvaise dette. Cependant, l'Algérie dispose de marge de manœuvre. L'avant-projet de loi de finances 2019 est établi sur la base d'un baril de pétrole brut à 50 dollars US. Cette hypothèse macroéconomique est relativement prudente. En effet, les perspectives de quelques pays exportateurs de pétrole se sont améliorées en 2018, le cours moyen du Brent à fin juillet s'est établi à environ 71 dollars. Malgré des perspectives macroéconomiques moins favorables dans le monde en 2019, l'impact des sanctions sur l'Iran et la baisse de production du Venezuela devraient maintenir relativement le prix du baril. À ce titre, plusieurs banques d'investissements comme JPMorgan tablent désormais sur un baril de Brent en moyenne à 70 dollars en 2019. Cela permettra donc d'augmenter les ressources en devises de plusieurs milliards de dollars et de diviser par deux – environ – le déficit de la balance commerciale. Au chapitre fiscal, l'avant-projet de loi de finances 2019 impose désormais des taxes aux entreprises qui recourent à l'expertise étrangère et/ou à l'assistance d'entités établies à l'étranger. Le gouvernement y voit un moyen de transfert de devises, un artifice pour une fraude et/ou une évasion fiscale. De même, le texte initial de la LF 2019 taxe le recours à la sous-traitance prétextant que l'usage intensif de ce mode opératoire favoriserait la fraude fiscale et la fraude à la facturation. Quelle lecture en faites-vous ? Le traitement, par la fiscalité, des transferts illicites de devises est une bonne initiative, à condition que celle-ci ne s'applique qu'aux secteurs d'activités permettant de répondre aux besoins des opérateurs locaux et qu'elle permette de rendre indirectement des produits ou des services nationaux plus compétitifs. À défaut, celle-ci pourrait être, d'une part, contreproductive et constituer une entrave au développement économique, et, d'autre part, favoriserait l'inflation, sans pour autant régler l'objectif initial de la taxe. En complément, il est nécessaire de renforcer les mécanismes de contrôle a priori et a posteriori, durcir l'arsenal juridique, éliminer le marché des changes parallèle, renforcer les outils de contrôle des prix de transfert afin d'éviter des pertes fiscales au niveau des transactions transnationales effectuées par les multinationales. Pour finir, il est primordial de mettre en œuvre des mécanismes incitatifs, en assouplissant la réglementation de change concernant le transfert de dividende, en baissant le taux de la retenue à la source sur la distribution des dividendes et en réduisant les délais de traitement des transferts. À défaut, certaines entreprises étrangères privilégieront la surfacturation pour transférer leurs bénéfices, même si le régime fiscal est plus avantageux pour eux en Algérie. Bio express Yassine Benadda, économiste, directeur financier d'un groupe international, ex-président du cabinet de consulting A.M. Experts Djazaïr. Promotion 2014 du MBA international business and project management (ISC Paris), il avait assuré par le passé les fonctions de directeur administratif et financier d'une filiale d'un grand groupe étranger en Algérie. Entretien réalisé par : Ali Titouche