Il a été enterré comme il l'avait voulu : dans un cimetière populaire au milieu d'une multitude de sépultures d'anonymes. Sur une colline qui surplombe Hydra, repose désormais Salah Boubnider, plus connu sous son nom de guerre Sawt El-Arab. Hier, ils étaient fort nombreux à l'accompagner à sa dernière demeure : ses amis, mais aussi ses “détracteurs”. Des hommes du pouvoir, au propre et au figuré, d'anciens responsables politiques, des militaires en retraite ou en fonction, des personnalités de l'opposition, des anonymes, des syndicalistes et d'anciens compagnons d'armes. Même si beaucoup de choses les séparent, le “grognard” de la révolution, comme le qualifie si bien Bachir Boumaza, l'ex-président du Sénat, aura réussi à les réunir autour de lui l'espace d'une communion. Il y avait Saïd Bouteflika, le frère du Président, les généraux Hadjeres, Boughaba, Taghit, Abderazak, Touati, Nezzar et Toufik, le chef du gouvernement Ahmed Ouyahia, l'ancien chef du HCE Ali Kafi, les anciens chefs du gouvernement Hamrouche et Mokdad Sifi, les ministres actuels et anciens, dont Sellal, Meghlaoui, Redjimi, Chérif Rahmani, Ould Kablia, des personnalités à l'image de Rédha Malek, Ali Haroun, Saïd Sadi, président du RCD, des responsables de parti comme Amara Benyounès de l'UDR, Ali Hocine du MDS, Bouhadef et Djeddaï du FFS. Bref, tout l'aréopage politique algérien dans ses multiples différences. L'ex-secrétaire général du FLN, à qui est échu l'honneur de prononcer l'oraison funèbre, résume en quelques mots ce qu'était Salah Boubnider. “Il croyait au message politique de la révolution. Il disait que je suis un militant et pas un moudjahid. Il a toujours lutté pour le parachèvement du combat démocratique”, dit-il. Celui qu'il avait connu du temps du PPA, pendant la révolution et après l'Indépendance, se souvient-il, “a sacralisé la résistance”. “Il est connu pour sa grande personnalité autant chez ses amis que chez ses détracteurs. C'est un exemple de sacrifice populaire.” Après avoir rappelé le parcours du militant, sa difficile succession à la tête de la wilaya II, Abdelhamid Mehri évoque la crise de l'été 1962 non sans quelques messages politiques. “Après l'Indépendance, il y eut la division du FLN et il était difficile de poursuivre le combat pour les libertés. Je lui ai demandé d'être neutre et il a préféré la légitimité révolutionnaire (…) La crise d'aujourd'hui nous pousse à revoir certains mécanismes de fonctionnement…” Presque à l'unanimité, ils reconnaissent à feu Boubnider la qualité d'un homme humble au parcours atypique. “C'est un homme singulier. Je vois en lui une vie d'engagement et je distingue deux tranches de sa vie : un baroudeur, sans peur et sans reproche pendant la guerre, et, à l'Indépendance, un grognard de la République, l'éternel insatisfait qui mérite tout le respect”, témoigne Bachir Boumaza. L'ancien président du Sénat termine sur une note qu'il convient sans doute de méditer. “Cette singularité manque à la scène politique qui tend à la monotonie. Dommage que l'homme n'a pas eu un tel hommage du temps de son vivant”, regrette-t-il. Il faut dire qu'il n'est pas le seul… L'Algérie a toujours “dévoré” ses meilleurs enfants. KARIM KEBIR