On se souvient comment les attentats du 11 septembre 2001 avaient suscité un élan international de solidarité avec les Etats-Unis. "Nous sommes tous Américains" écrivait alors Jean-Marie Colombani ; ce slogan allait faire le tour de la planète, ce que l'on peut comprendre au demeurant. La suite est connue. Washington, fort de la condamnation par le Conseil de sécurité de l'ONU de ces attaques (résolution 1368), envahira l'Afghanistan, havre du principal accusé des attentats, l'alors chef d'Al-Qaïda Oussama Ben Laden. Puis, en mars 2003, c'est l'Irak qui fera les frais d'une attaque menée par une coalition plus réduite et démunie de mandat onusien. Les motifs avancés par Washington pour l'invasion de l'Irak étaient au nombre de trois : stopper ce qui était alors présenté comme un développement par l'Irak d'armes de destruction massive (ADM) ; mettre à mal une relation suggérée entre le président irakien de l'époque, Saddam Hussein, et Al-Qaïda ; et "offrir" la démocratie aux Irakiens. Quinze ans plus tard, l'horizon est toujours aussi sombre : Al-Qaïda et Daech ont fleuri sur les terres de l'ancienne Mésopotamie, les tensions politico-communautaires (Kurdes/Arabes, mais aussi sunnites/chiites) restent vives, et l'optimisme de la Banque mondiale, pour qui "les perspectives macroéconomiques de l'Irak devraient s'améliorer avec le recul de l'insécurité, la hausse des cours du pétrole et la reprise progressive des investissements pour la reconstruction du pays", tardent cependant à se vérifier. Les évènements intervenus à Bassora ces dernières semaines pourraient en effet accélérer la recomposition de la scène politique irakienne. Depuis le mois de juillet, les habitants de la deuxième plus importante ville de l'Irak manifestent en effet, parfois violemment, comme le prouvent les actes de vandalisme et la trentaine de morts recensés à ce jour. Ces protestations avaient suivi l'hospitalisation reportée de quelque 30 000 personnes suite aux effets d'une eau contaminée ; mais cette situation ne venait que se greffer sur un contexte marqué par de régulières coupures d'eau et d'électricité, un taux de chômage élevé, ou encore une corruption sévissant à grande échelle. Tous motifs forts de colère et de frustrations citoyennes. Le fait pour Bassora d'être une ville à majorité chiite, ou celui pour plusieurs manifestants de s'en être pris au siège du consulat iranien à Bassora, peut, bien sûr, être relevé ; mais il n'est pas pour autant central dans ce cadre. Téhéran suscite des réactions négatives du fait de son rôle dans le pays, cela est vrai, chez les chiites comme chez les non-chiites (chose qui contredit les thèses sublimant la présence d'un "croissant chiite" régional) ; mais les problèmes de l'Irak vont bien au-delà. Quinze ans après avoir été "libéré" de son dictateur, le pays continue en effet à souffrir le martyre, sans que puissent être identifiés de potentiels horizons d'amélioration. Le Premier ministre sortant, Haydar Abadi, se croyait jusqu'ici en mesure de pouvoir être reconduit à son poste ; les élections législatives de mai 2018, à l'issue desquelles aucune majorité claire ne s'était dégagée, laissaient en effet flotter l'idée d'une alliance politique qui aurait pu bénéficier au chef du gouvernement sortant. Mais la crise de Bassora pourrait fort en avoir décidé autrement. Les candidats dits "antisystèmes", à commencer par le célèbre Muqtada al-Sadr, discutent en effet des alliances possibles qui pourraient leur permettre de définir une nouvelle donne gouvernementale. De son côté, l'influent cheikh Ali Sistani a fait valoir son opposition à la reconduction au sein du gouvernement irakien de "figures connues" ; la parole de Sistani étant d'autorité, cela exclurait d'office Abadi, mais aussi d'autres caciques de la vie politique irakienne, dont l'ancien Premier ministre Nouri al-Maliki. Ce qui reste, soit dit au passage, un point dont on peut se réjouir. L'Irak n'est pas pour autant au bout de ses peines. Cependant que la question de la nomination d'un nouveau président de la République et d'un nouveau président du parlement pourrait aussi achopper pour une durée indéterminée, le pays reste prisonnier de ses particularités géopolitiques ainsi que de son état de sous-développement. Et au final, garder cela présent à l'esprit, et s'en inquiéter, vaut probablement mieux que de s'interroger sur ce que nous faisions tous un certain 11-Septembre, quand la nouvelle tomba... Par : Barah MIKAIL Enseignant-chercheur à Madrid, est directeur de Stractegia Consulting