Le président français a admis la responsabilité de l'Etat dans l'assassinat du mathématicien et militant communiste. Il a, en outre, reconnu que la torture a été rendue possible à cette époque par "un système légalement institué". Le président français, Emmanuel Macron, s'est rendu, jeudi en début d'après-midi, au domicile de Josette Audin, à Bagnolet, dans la banlieue parisienne, pour lui remettre, en mains propres, une déclaration où il reconnaît officiellement la responsabilité de l'Etat français dans l'assassinant du célèbre mathématicien, militant communiste et partisan de l'indépendance de l'Algérie, Maurice Audin, arrêté par les parachutistes, chez-lui à Alger, en 1957, et dont le corps n'a jamais été retrouvé. En guise de préambule, dans sa déclaration, l'Elysée a utilisé une citation de l'historien Pierre Vidal-Naquet, sur l'aberration d'un système colonial où les principes de la révolution française ont été bafoués et où les gouvernants "s'en prenaient plus volontiers à ceux qui dénonçaient la torture qu'à ceux qui la pratiquaient". Vidal-Naquet et d'autres historiens ont enquêté sur la mort de Maurice Audin et sont, tous, parvenus à la conclusion qu'il ne s'est pas évadé, mais a été tué. "Leurs travaux s'accordent tous à reconnaître que la mort de Maurice Audin a été rendue possible par un système légalement institué qui a favorisé les disparitions et permis la torture à des fins politiques", soutient la présidence de la République française, faisant savoir que "le président de la République, Emmanuel Macron, a, par conséquent, décidé qu'il était temps que la nation accomplisse un travail de vérité sur ce sujet (et que lui-même) reconnaît, au nom de la République française, que Maurice Audin a été torturé, puis exécuté ou torturé à mort par des militaires qui l'avaient arrêté à son domicile". Le chef de l'Etat français "reconnaît aussi que si (la mort d'Audin) est, en dernier ressort, le fait de quelques-uns, elle a, néanmoins, été rendue possible par un système légalement institué : le système ‘arrestation-détention' mis en place à la faveur des pouvoirs spéciaux qui avaient été confiés par voie légale aux forces armées à cette période". Pour l'Elysée, ce système a été "le terreau malheureux d'actes parfois terribles, dont la torture, que l'affaire Audin a mis en lumière". Bien qu'illégale, la torture "s'est développée parce qu'elle restait impunie (et) était conçue comme une arme contre le FLN", soutient encore la présidence française. Emmanuel Macron, qui avait, avant son élection en 2016, qualifié la colonisation de crime contre l'humanité, estime qu'un examen de conscience s'impose. "Il importe que cette histoire soit connue, qu'elle soit regardée avec courage et lucidité", souligne la déclaration. Le but étant à la fois d'apaiser les proches des victimes, mais aussi, dit l'Elysée, de sauver l'honneur de "tous les Français civils et militaires qui ont désapprouvé la torture, ne s'y sont pas livrés ou s'y sont soustraits, et qui, aujourd'hui comme hier, refusent d'être assimilés à ceux qui l'ont instituée et pratiquée". Insistant sur la quête de la vérité autour des disparus de la guerre d'Algérie et le travail de mémoire, Macron donne carte blanche aux historiens. "Une dérogation générale, dont les contours seront précisés par arrêtés ministériels après identification des sources disponibles, ouvrira à la libre consultation tous les fonds d'archives de l'Etat qui concernent ce sujet", révèle ainsi l'Elysée. Un appel à témoignages a été également lancé. Selon l'Elysée, "l'approfondissement de ce travail de vérité doit ouvrir la voie à une meilleure compréhension de notre passé, à une plus grande lucidité sur les blessures de notre histoire, et à une volonté nouvelle de réconciliation des mémoires et des peuples français et algérien". Emmanuel Macron a fait un autre pas dans ce sens, en disant pardon à Josette Audin avant de quitter son domicile jeudi. "C'est à moi de vous demander pardon. Donc ne me dites rien. On restaure un peu ce qui devait être fait", a-t-il dit à la veuve du mathématicien lorsque celle-ci a voulu le remercier. "La seule chose que je fais, c'est reconnaître la vérité", a encore ajouté le chef de l'Etat français. De Paris : Samia Lokmane-Khelil