Les députés frondeurs évoquent le blocage des travaux des commissions, donc de l'examen de la loi de finances qui doit pourtant avoir lieu dès la semaine prochaine. Le bras de fer qui oppose le président de l'APN, Saïd Bouhadja, aux groupes parlementaires de la "majorité présidentielle" se poursuit. Ni les pétitions ni les menaces de bloquer le fonctionnement de l'Assemblée n'ont réussi pour l'instant à faire partir le troisième personnage de l'Etat qui s'appuie sur le règlement intérieur de l'institution parlementaire qui le protège. Hier, les députés du FLN, qui ont rallié à leur cause leurs collègues du RND, du MPA, de TAJ et des indépendants, ont franchi un nouveau pas dans leur démarche de faire partir le président de l'APN. En milieu d'après-midi, les chefs des groupes parlementaires, qui ont rédigé le texte d'une pétition dans laquelle ils ont rappelé les griefs retenus contre le président de la Chambre basse du Parlement, ont rencontré Saïd Bouhadja. "La discussion s'est déroulée dans le calme", a révélé Maâd Bouchareb, chef du groupe parlementaire du FLN, au sortir de la réunion qui aura duré près de deux heures. "Il n'y a pas de tension comme on a pu le lire ça et là", a-t-il indiqué aux rares journalistes présents. À la question de savoir si la volonté de destituer Bouhadja vient de la présidence de la République, comme prétendu, Bouchareb dément. "C'est une affaire entre députés", a-t-il tranché. Le chef du groupe parlementaire du FLN ne dit pas tout, c'est certain. Mais il a concédé une affirmation de taille. "Le président de l'APN, Saïd Bouhadja, est prêt à répondre favorablement à notre demande" de démission dans "les 24 ou 36 heures", a-t-il indiqué. Un des présents à l'entrevue, rencontré dans un des bureaux de l'APN, a confirmé les propos de Bouchareb. Mais notre interlocuteur a avoué que Saïd Bouhadja était "remonté" et "tendu". "Il a senti cela comme une humiliation", a indiqué le député, qui ajoutera que, selon lui, Bouhadja va annoncer sa démission dans les heures à venir. Cela, pour des raisons notamment "morales", dit-il, parce qu'"il n'est pas imaginable qu'un homme comme Bouhadja puisse rester à son poste alors qu'il est lâché par son propre parti", le FLN. De son côté, Saïd Bouhadja ne veut pas une défaite sans honneur. En effet, le président de l'APN ne voulait pas reconnaître la pétition qui lui a été remise, indique un de ses proches. Bouhadja avait notamment demandé à voir la liste des signataires de la pétition. Une demande qui a excédé Maâd Bouchareb qui, dans son énervement, s'est saisi du texte et l'a déchiré. Nos tentatives de joindre Saïd Bouhadja au téléphone, puis de le rencontrer dans son bureau ont été vaines. Dans une déclaration à TSA, il dit ne pas comprendre la démarche des députés et bat en brèche les reproches qu'on lui fait. "Il faut d'abord que je sache s'il s'agit d'une démission ou d'un limogeage. Il faut qu'on me l'explique, je demande à être convaincu. La démission est un acte volontaire. Je m'accorde deux ou trois jours de réflexion", a-t-il dit. Dans la pétition rédigée par les 5 groupes parlementaires, il est notamment fait mention de "mauvaise gestion" des affaires de l'Assemblée, de "la marginalisation des vice-présidents" de l'Assemblée, du "retard pris dans l'élaboration du règlement intérieur" de la Chambre basse, des "recrutements douteux et anarchiques" dans l'administration de l'APN. Le président de l'APN s'en défend : "Ils disent que j'ai fait des recrutements anarchiques, alors que je n'ai recruté que deux personnes. Ils évoquent la mauvaise gestion, alors qu'il s'agit de la responsabilité du secrétaire général de l'APN", avait-il déclaré lors d'une rencontre dans son bureau, mercredi dernier, précisant que la loi lui donne le droit de recruter des conseillers, mais il dit n'en avoir recruté aucun pour l'instant. "Ils me reprochent des missions à l'étranger ? Cela ne fait pas partie de mes prérogatives. Il y a des règles auxquelles sont soumis tous les responsables", avait-il, en outre, indiqué. Un blocage, des raisons obscures Tentant de résister, Saïd Bouhadja va convoquer une réunion du bureau de l'APN dans les prochains jours. Mais il est conscient que, en réalité, les jeux sont déjà faits. Les députés de la majorité veulent aller plus loin dans leur menace, puisqu'on évoque désormais le blocage des travaux des commissions, donc de l'examen de la loi de Finances qui doit pourtant avoir lieu dès la semaine prochaine. "(…) Il faut mettre fin à cette tension. J'en suis conscient. Je dois donc prendre la bonne décision", a-t-il dit à nos confrères de TSA. Si la situation de blocage persiste dans le fonctionnement des instances de l'APN, Saïd Bouhadja sera obligé de rendre son tablier pour le retour à la normale de l'institution législative. Même si dans le règlement intérieur de l'APN, les députés ne disposent d'aucun autre moyen de faire partir leur président. Le règlement intérieur de la Chambre basse ne prévoit de vacance du poste de président que dans les cas de démission, de décès ou d'incapacité physique. La crise que vit actuellement l'APN est la pire depuis la démission, en 2004, de Karim Younès dans le sillage de son soutien à Ali Benlflis, alors candidat à l'élection présidentielle contre Abdelaziz Bouteflika. Sauf que si le geste de Karim Younès était compréhensible, s'agissant du cas Bouhadja, rares sont, au sein de l'APN, ceux qui peuvent expliquer l'acharnement des députés de la majorité contre lui. Si pour les députés de l'opposition, Saïd Bouhadja dérange notamment les intérêts de certains groupes de pression que le limogeage du secrétaire général n'arrange pas, pour certains groupes proches du pouvoir, les raisons sont ailleurs. "Moi, ce que je reproche à Bouhadja, c'est de ne pas avoir accéléré l'élaboration du règlement intérieur, de ne pas avoir mis en place les groupes d'amitié et le manque de concertation avec les vice-présidents", a indiqué Chikh Barbara, président du groupe parlementaire du Mouvement populaire algérien (MPA). "Je ne comprends pas pourquoi Bouhadja veut exclure les députés issus des partis politiques qui ne disposent pas de groupes parlementaires", a ajouté Chikh Barbara, qui a signé la pétition demandant au président de l'APN de céder sa place. La mise à l'écart du secrétaire général de l'APN "dérange certains affairistes" au sein du FLN, nous a, par contre, confié une députée de l'opposition qui a préféré garder l'anonymat. "L'enjeu principal est l'argent", a indiqué la parlementaire. Elle rejoint ainsi la déclaration faite par Lakhdar Benkhellaf, député du Front de justice et développement (FJD), qui a indiqué à Constantine que "même s'il est issu du FLN", Bouhadja "est intègre", d'où la volonté des députés du FLN de s'en débarrasser. Ali Boukhlef