L'"affaire Jamal Khashoggi", du nom de ce journaliste saoudien qui n'est plus apparu depuis qu'il s'était rendu au consulat d'Arabie Saoudite à Istanbul, le 2 octobre 2018, nous interpelle à juste titre. Critique des autorités de son pays, mais sans verser dans l'opposition frontale et radicale, ce réformiste était connu de quiconque porte intérêt aux pays du Golfe. Sa notoriété en faisait une icône. Les circonstances dans lesquelles il a disparu, et les rumeurs affirmant qui son assassinat par les autorités saoudiennes, qui le dépeçage de son corps, ne font qu'en ajouter au sentiment d'horreur. De Washington à Ankara en passant par l'ONU, les inquiétudes formulées sur le sort de Jamal Khashoggi, combinées au silence des Saoudiens sur la question, ne font qu'appuyer, virtuellement, la thèse de sa liquidation par l'Arabie Saoudite. Les projections et fantasmes généralement convenus sur le royaume saoudien et ses pratiques ont aidé en ce sens. Les fortes suspicions devant une responsabilité saoudienne directe se sont ainsi transformées, dans beaucoup d'esprits, en faits avérés. On ne voudrait pas aller trop vite en besogne ici ; le souhait reste ardent d'apprendre que Jamal Khashoggi serait sain et sauf, quelles que soient les circonstances expliquant sa disparition. Ce même si, à mesure que les jours passent, ces espoirs s'amenuisent. Des sources bien informées sur les arcanes du royaume saoudien valident le scénario de l'assassinat de Jamal Khashoggi. Elles vont même jusqu'à pointer une – potentielle – responsabilité directe du prince Mohammed Ben Salmane (dit MBS), héritier du trône, dans ce présumé meurtre. L'origine de leurs sources n'est, en toute logique, jamais révélée. Mais l'on voit bien à travers ces suspicions comment, à travers le cas Khashoggi, l'Arabie Saoudite paie son déficit en termes d'image. Le pays donne en effet l'impression d'être dans la continuité de certains des pouvoirs considérés comme les moins fréquentables de la planète, comme la Russie ou la Syrie. Et cela ne vient pas que des restrictions à la liberté d'expression prévalant en Arabie Saoudite. Si Riyad paie depuis longtemps le prix d'une image dégradée par la nature de ses politiques sociales, il se retrouve aussi confronté aujourd'hui aux doutes généralement entretenus vis-à-vis de MBS et des stratégies qu'il a promues sur le plan régional. Le fait que MBS soit aux commandes du royaume est un fait qu'il est difficile de nier ; tout aussi évident est le fait que les impulsions radicales favorisées par le royaume vis-à-vis du Yémen, du Qatar ou de l'Iran soient de son cru. Avec le résultat qu'on leur connaît. Le malheureux cas Khashoggi, et les allégations l'entourant, ne devrait pas pour autant changer grand-chose à la réalité des choses : les multiples rumeurs circulant depuis de longs mois sur les tentatives que d'aucuns opéreraient au sein de la cour royale aux fins d'écarter MBS de son poste devraient avoir d'autant moins de chances d'aboutir que celui-ci tient sérieusement les commandes de son pays. Qu'il soit prudent, ou paranoïaque, MBS va nécessairement redoubler de vigilance devant le vent de critiques prévalant aujourd'hui à l'échelle internationale, et leur impact potentiel sur son image, et son pouvoir. En tout état de cause, l'image de "prince réformateur" et "éclairé" que lui ont accolé tant de médias à travers le monde s'avère, de fait, durablement endommagée. Pour le reste, le "cas Khashoggi" est évidemment à déplorer, et à condamner. Mais il convient tout aussi bien de s'alarmer et de rappeler combien les disparitions, enlèvements et autres condamnations font des victimes dans le monde. Reporters sans Frontières nous rappelle à ce titre que ce ne sont pas moins de 71 journalistes et leurs collaborateurs qui ont été tués pour la seule année 2018. Or, aussi horrible qu'il soit, le cas Khashoggi donne parfois l'impression d'être récupéré par qui voudrait faire le procès de l'Arabie Saoudite, de MBS et/ou des relations que Donald Trump entretient avec lui. Une approche bancale dont on peut se demander si Jamal Khashoggi lui-même, sincère partisan des réformes, l'aurait validée. Car les vraies questions de fond se doivent de dépasser le cadre de l'émotion. Par : Barah MIKAIL Directeur de Stractegia Consulting et professeur associé à l'université Saint Louis à Madrid.