Tantôt il met de l'eau dans son vin en jouant la prudence, tantôt il enfonce le clou pour confirmer le contenu de son livre, l'ex-diplomate français à Alger s'est dit "libre" d'appeler "un chat un chat". L'ex-ambassadeur de France à Alger (2006-2008) et néanmoins ex-patron de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), Bernard Bajolet, est revenu à la charge en évoquant l'état de santé du président Bouteflika, la corruption et les relations algéro-françaises, et ce, pour "appeler un chat un chat", pour le paraphraser. En effet, dans un entretien accordé à Jeune Afrique, M. Bajolet a refusé de réutiliser la fameuse expression, selon laquelle "Bouteflika est maintenu en vie artificiellement". L'ex-diplomate a préféré avant tout situer le contexte dans lequel il avait écrit son livre, arguant que ce qu'il a écrit dans son livre sur l'Algérie "ne relève pas de la diplomatie" et qu'il ne représentait pas le gouvernement français. "L'ambassadeur de France à Alger, Xavier Driencourt, a tout à fait raison de dire que je ne m'exprime pas au nom du gouvernement. Je ne suis mandaté par personne (…) Désormais libéré de mes obligations au service de l'Etat, j'use de ma liberté de parole, sauf quand il s'agit de questions relatives au secret-défense." En revanche, la polémique qui s'en est suivie après la publication de son livre (Le soleil ne se lève plus à l'Est, ndlr) n'a, vraisemblablement, pas surpris l'ex-espion français qui regrette le niveau des réactions. "Je pensais que les réactions seraient d'un meilleur niveau. Cela ne me touche pas qu'on me traite de petit barbouze ou de mercenaire déguisé en diplomate", dira M. Bajolet qui ne regrette pas, cependant, d'avoir parlé de "momification de l'Algérie". Au contraire, il enfoncera le clou pour relever "le contraste saisissant entre un pays jeune et des dirigeants politiques en profond décalage par rapport au pays réel. Je suis frappé par ce système de représentation, qui semble en panne". Un système qu'il qualifiera de "technostructure qui n'a pas changé depuis plusieurs décennies". Abordant le volet économique, M. Bajolet a chargé l'Etat algérien, en déplorant que "la corruption touche jusqu'au sommet de l'Etat (...) Les efforts destinés à diversifier l'économie n'ont pas abouti". Révélant que la France n'avait rien fait pour aider l'Algérie, il dira que "quand la France est partie en 1962, il n'y avait plus d'Etat. Ceci est un énorme handicap qui continue, même cinquante ans plus tard, à produire des effets". Et de lâcher un autre pavé dans la mare : "La France dissimule une volonté de jouer sur l'hostilité à l'ancienne puissance coloniale pour légitimer le pouvoir en place." Cette complaisance, M. Bajolet refuse de l'illustrer quand François Hollande utilisait le mot alacrité pour évoquer l'état de santé du président Bouteflika. "Les Français ont du mal à s'exprimer sur ces sujets sensibles, compte tenu du passé. Sur le plan diplomatique, ils restent extrêmement prudents. Idem quand il y avait lieu de rappeler les relations entre Paris et Alger qualifiées par Jacques Chirac de ‘foiroteuses'." Mais "libre" qu'il était, M. Bajolet révèle que ces relations "sont toujours extrêmement sensibles" et sont "sujettes à des fluctuations de grande ampleur (…) J'ai recommandé à François Hollande une politique des petits pas : ne pas chercher à faire de grandes choses, comme ce traité d'amitié proposé par Chirac en 2003". Revenant sur le travail de mémoire et ce que l'Algérie devait faire, l'ex-diplomate français a estimé qu'"il serait souhaitable que les archives du Front de libération nationale (FLN) soient ouvertes, dans la mesure où nous avons ouvert les nôtres". À la question de savoir si la France devrait présenter des excuses officielles sur les crimes coloniaux, M. Bajolet n'a pas mâché ses mots. "Je ne pense pas que ce genre de situation serait résolu par l'humiliation de l'une ou l'autre partie. J'ai toujours été franc avec le président Bouteflika et réciproquement (…) Cette demande ne m'a jamais été présentée par les autorités algériennes." Enfin, il évoquera le conflit au Sahara occidental, révélant que "Chirac était plutôt remonté contre le ministre marocain des Affaires étrangères de l'époque" et que "Alger reproche à Paris de s'aligner sur la position marocaine". Il affirmera que le président Bouteflika lui avait indiqué qu'"il n'y aurait pas de lune de miel avec le Maroc ni de Maghreb arabe si cette question ne trouvait pas une solution équitable". FARID BELGACEM