En l'an 1974 où l'écriture était dictée, voire guidée au fouet prohibitif, un lycéen d'Aït Douala butinait dans l'innocence de son âge, l'ivresse de l'églantine pour y extraire l'encre qui l'enrôla d'un jet sur le sentier de la rébellion intellectuelle. Alors, et humant cette fleur du poète, l'instituteur y décèle du talent mais aussi de l'indocilité à fleur du pouce et de l'index qui guidaient la plume de Hocine Haroun lorsqu'il trempait sa plume dans l'encrier de la mutinerie. Et plutôt que de voir Hocine Haroun s'engager sur le navire des mutins, son professeur de français aurait souhaité qu'il s'intéresse à l'actualité paisible de son village ou qu'il immortalise de préférence, les "timucuha" (contes) qui frétillaient l'incandescence de l'âtre de tendre grand-mère. Avide de liberté et l'éveil précoce pour sa langue taqbaylit qu'il ne lisait pas dans les manuels scolaires, Hocine Haroun s'est ensemencé corps et âme dans la fertilité des sillons où l'avait précédé la nouvelle vague qui avait repris le flambeau pour éclairer le sentier au bout duquel il y a l'identité maternelle. Il s'identifiait ainsi dans la constellation d'étoiles, où brillaient feu Djamel Allam, Nourreddine Chenoud, les Abranis et Kateb Yacine le père de Nedjma qui brille au firmament de la création littéraire amazighe. Nourrie à l'onction bénie de la langue de Molière, d'un zeste d'influence de Kateb Yacine et une pincée de Jacques Prévert, Hocine Haroun a insufflé de la vie à l'odyssée de Yidir et de Rosina qu'il conte au fil des pages d'un roman-poèmes déclamé "À coups de poing et à coups de pied" (*) qu'il assène à la ruche et à son essaim d'interdits. Ecrit d'un style "effronté", soit à l'antithèse des dogmes et de la langue de bois qu'a ramenés dans ses bagages l'Egyptien, ce coopérant technique, l'auteur narre la saga d'une noblesse usurpée qu'incarne l'amghar M'hemmed alias Mhend ce "maquignon d'égorgeur" et Si Slimane son acolyte. En premier lieu, il y a Yidir la tafat (lumière) de la tadert et les villageois qui n'ont d'yeux que pour Rosina à tout prix que l'amghar coopté rêvait d'attirer à la fontaine désertée selon des instructions venues d'en haut. Et en dépit qu'elle soit tarie, la vie continue au village, notamment dans l'univers de la belle orpheline Rosina, où ruissellent des jets d'eau multicolores qui aspergent de somptueuses vierges qui hâlent leurs charmes au soleil ! "C'est de la sorcellerie, de la magie noire et une atteinte à la sûreté de l'Etat" s'écria Mhend qui, pour les villageois, n'est plus que l'ombre de tseriel (l'ogresse). Mais qu'importe ces boniments oukasiens d'un autre temps, du fait que la vie s'écoule telle une tala qui irrigue "le roseau sentimental" qui "plie mais ne rompt pas" (Jean de La Fontaine). À cet égard, et "du Djurdjura aux Aurès", le vent a emporté le diktat de l'unicité de pensée, et ce, grâce à l'ode de la Kahina qui incarne l'éveil des consciences ! Il est vrai que si rien ne se dit ouvertement, Yidir se charge de le faire avec ses poèmes, où l'on décèle les sous-entendus : "Le corbeau pour désigner le Parti. La colombe pour décrire Rosina et les racines voulaient dire tout simplement les racines au sens immémorial du terme". Autrement dit, l'œuvre de Hocine Haroun invite tout simplement au temps de vivre. Louhal Nourreddine Titre du recueil de poèmes d'Abderrahmane Lounès. Le roseau sentimental, de Hocine Haroun Editions Tafat 2017, 155 pages, 500 DA