D'anciens détenus du Hirak avaient déjà fait état de leur torture par les autorités pour les dissuader de poursuivre leur mouvement de contestation sociale dans le Rif. L'ONG Human Rights Watch a dénoncé hier l'existence de cas de torture à l'encontre des détenus rifains du Hirak, dont le procès en appel s'est ouvert le 14 novembre dernier, dans un communiqué publié hier sur son site. "Le 26 juin, un tribunal de première instance avait condamné l'ensemble des 53 accusés à des peines allant jusqu'à 20 ans de prison après avoir retenu leurs «aveux» comme preuves à charge, et balayé leurs réfutations desdits «aveux», qu'ils disaient arrachés sous la contrainte", a dénoncé l'ONG, soulignant que "dans son jugement de 3100 pages, le tribunal n'a pas expliqué pourquoi il avait écarté des rapports médicaux suggérant qu'au moins une partie des accusés avaient subi des violences policières pendant ou après leurs arrestations". Selon Ahmed Benchemsi, directeur de la communication et du plaidoyer pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord chez Human Rights Watch, "un tribunal ne peut pas tout simplement ignorer des preuves de torture", ajoutant que "la Cour d'appel se doit d'écarter tout aveu suspect et de garantir que personne ne soit condamné si ce n'est pour des crimes réels". Pour rappel, le mouvement du Hirak est né après la mort d'un jeune poissonnier, écrabouillé par une banne à ordures en tentant de sauver sa marchandise que des policiers lui avaient injustement saisie. La mort du jeune poissonnier a provoqué un vent de colère dans l'ensemble du Rif, une région que les autorités marocaines ont toujours marginalisée. Ces manifestations ont été violemment réprimées par Rabat qui a usé vainement de la désinformation pour faire taire les Rifains, en serrant aussi la vis à la presse étrangère qui a été quasiment interdite d'accès dans la région. HRW rappelle qu'une vague de répression policière en mai 2017 s'est soldée par l'arrestation de plus de 400 activistes. "Cinquante-trois d'entre eux, dont les leaders du mouvement, ont été transférés à Casablanca puis jugés dans un procès collectif qui a duré plus d'un an. Le 26 juin 2018, le tribunal de première instance de Casablanca les a tous reconnus coupables de divers chefs d'accusation – notamment atteinte à la sécurité intérieure de l'Etat, incendie criminel, rébellion, agression d'agents de police dans l'exercice de leurs fonctions, dégradation de biens publics et organisation de manifestations non autorisées – et les a condamnés à des peines allant d'un à vingt ans de prison", rappelle HRW. L'ONG a mené des entretiens avec plusieurs détenus qui ont été libérés et qui affirment avoir subi des violences policières et menacés de viol lors des interrogatoires. Mais jusqu'ici les autorités marocaines continuent de nier les faits et ne comptent pas, semble-t-il, jouer l'apaisement dans cette affaire que le roi Mohamed VI veut étouffer à tout prix, préférant mettre la situation désastreuse que vit le Rif sur le dos des gouvernements successifs qui, selon lui, ont échoué dans leur mission. Lyès Menacer