Ils sont venus de Sétif, d'Alger, de Bordj Bou-Arréridj, de Blida, de Boumerdès, de Tizi Ouzou, de Bouira, de Jijel, d'Oran et d'autres wilayas. Arrivés au boulevard Amirouche, en plein centre-ville de Béjaïa, les manifestants sont accueillis par les youyous des femmes sur leur balcon. La ville de Béjaïa a vécu, hier, un moment qui restera gravé dans les annales algériennes. Une grande mobilisation citoyenne a marqué la marche pacifique organisée à travers les artères de la capitale des Hammadites, à l'appel de la Coordination des comités de soutien aux travailleurs de Cevital et aux investissements économiques. "C'est du jamais vu ! C'est la plus grosse manifestation qu'on aura vue à Béjaïa. Depuis les moments forts du mouvement citoyen né au lendemain des douloureux événements du Printemps noir de 2001, on n'a jamais vu autant de gens dans la rue !", témoignent plusieurs observateurs. En effet, une immense marée humaine a battu le pavé, hier, depuis le complexe agroalimentaire de Cevital, sis à l'arrière-port de Béjaïa, jusqu'au siège de la wilaya, situé à la rue de la Liberté, soit un parcours de quelque quatre kilomètres. Scindée en plusieurs carrés, la grande foule a pris le départ vers 10h30, sous les cris "Assa Azekka, Cevital Yella Yella !" (Aujourd'hui et demain, Cevital existera !). En tête de la marche, des jeunes animateurs de la Coordination des comités de soutien aux travailleurs de Cevital scandaient à l'aide d'un mégaphone, depuis la benne d'un camion drapé des couleurs nationales, des slogans favorables au déblocage de tous les projets d'investissement initiés par le groupe Cevital, dont son usine de trituration de graines oléagineuses, prévue à Béjaïa. D'autres membres de la Coordination veillaient à la bonne organisation de la manifestation. Ils constituaient des cordons de sécurité autour de chaque carré de manifestants afin d'empêcher tout éventuel débordement ou infiltration de la marche qui se voulait pacifique. Des milliers de voix reprenaient en chœur tous ces mots d'ordre mis en avant à cette occasion : "Cessez de bloquer le groupe Cevital", "Pour la création des richesses et d'emplois", "Non à la mise à mort de l'économie nationale", "Non à l'appauvrissement et à l'étouffement économique de la Kabylie", "Oui au déblocage des projets de Cevital", "Cevital, la fierté de la Kabylie", "Y en a marre de ce pouvoir"… Après avoir parcouru la route de l'arrière-port, la longue procession humaine empruntera la rampe du port pour gagner la haute ville à travers la rue Aïssat-Idir en passant devant l'ancien palais de justice. Les marcheurs marqueront une pause symbolique au siège de l'Entreprise portuaire de Béjaïa (EPB), instrument du blocage que subit le groupe Cevital depuis plus de 600 jours. Profitant de cette halte, le porte-parole de la Coordination, Mourad Bouzidi, prend la parole devant cette immense foule pour rappeler la genèse de l'affaire de blocage des équipements industriels importés en mars 2017 par Cevital, pointant du doigt les responsables de l'EPB, plus particulièrement son ancien directeur général, Djelloul Achour, qui s'était acharné contre le projet initié par le premier groupe industriel privé, à Béjaïa. "Nous profitons de cette tribune pour dire aux auteurs de ces blocages que le projet de Cevital sera bel et bien réalisé à Béjaïa. Qu'ils sachent aujourd'hui que tout ce beau monde exige le déblocage de tous les projets de Cevital, à commencer par celui de l'unité de trituration de graines oléagineuses et celui du mégacomplexe touristique prévu sur le littoral de la commune de Boukhelifa (Tichy)", a-t-il lancé du haut de la rampe du port. Au fur et à mesure que les marcheurs avancent dans le centre-ville, la manifestation voit ses rangs grossir. De nombreux citoyens qui étaient retenus, dans la matinée, sur leurs lieux de travail ou confrontés au problème des bouchons sur la route, ont fini par rejoindre la marche vers 12h. Ils sont venus de partout, notamment de Sétif, d'Alger, de Bordj Bou-Arréridj, de Blida, de Boumerdès, de Tizi Ouzou, de Bouira, de Jijel, d'Oran… Arrivés au boulevard Amirouche, en plein centre-ville de Béjaïa, les manifestants sont accueillis par les youyous des femmes sur leur balcon. Un geste qui ne manquera pas de susciter les ovations des marcheurs. Vers 12h30, le premier carré des manifestants arrive devant le portail de la wilaya, point de chute de la manifestation, alors que les derniers marcheurs empruntaient la montée vers la haute ville. C'est dire que la marche de solidarité avec le groupe Cevital aura réussi à susciter une mobilisation remarquable. "C'est une marche historique ! Elle a drainé près d'un million de personnes. Béjaïa a réussi son pari. Nous avons gagné la bataille de l'opinion. Merci à tous !" lancera Mourad Bouzidi. "À travers notre action d'aujourd'hui, nous voulons transmettre un message très fort aux décideurs de ce pays. Ils doivent savoir que chaque projet de Cevital bloqué, ce sont des bateaux de morts (harragas) qui sont remplis par notre jeunesse. Les blocages que subit Cevital doivent cesser immédiatement. Nous interpellons les hautes autorités de l'Etat, à commencer par le président de la République et le Premier ministre, sur la gravité de la situation socioéconomique d'aujourd'hui, tout en les appelant à prendre conscience d'une telle réalité", a déclaré M. Bouzidi. Et d'ajouter : "On ne va pas reculer, nous allons continuer à nous mobiliser et à organiser chaque mois une nouvelle démonstration de force. Et nous allons monter en puissance. D'ici au mois de janvier de l'année prochaine, nous envisageons de recourir à une grève générale en Kabylie." Usant d'un ton très virulent à l'égard du gouvernement Ouyahia, Mme Zina Ikhlef, députée du Rassemblement patriotique républicain (RPR), lancera : "Nous dénonçons aujourd'hui le revirement flagrant de M. Ahmed Ouyahia qui avait déclaré, ici à Béjaïa, lors de la campagne électorale des dernières législatives, que notre région a de la chance d'avoir le plus important investisseur d'Afrique (allusion faite à Issad Rebrab et Cevital), tout en plaidant pour le déblocage de son projet à Béjaïa. Malheureusement, il s'avèrera que lui-même, en sa qualité de Premier ministre, cautionne ces blocages !" Pour Khaled Tazaghart, député de Béjaïa, la manifestation de ce 11 décembre 2018 est une "marche de l'espoir", du fait qu'elle véhicule un message fort qui interpelle les consciences. "Nos gouvernants doivent comprendre que M. Rebrab est devenu un héros national. Ils doivent se pencher sérieusement sur ses projets d'investissement qui ne manqueront pas de créer des milliers d'emplois et de la richesse fiscale", a-t-il ajouté, avant d'interpeller les tenants du pouvoir en ces termes : "Cessez de menacer l'unité nationale et de semer le désespoir ! Notre jeunesse en a marre !" Le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), qui a accompagné dès le départ cet élan de solidarité avec le groupe Cevital, a mobilisé, hier, pas moins de quatre parlementaires, sans compter les autres élus locaux. Les députés Atmane Mazouz et Nora Ouali de Béjaïa, Lila Hadj Arab de Tizi Ouzou et Fetta Sadat d'Alger se sont relayés au micro pour réitérer leur soutien indéfectible à Cevital en exigeant le déblocage de tous ses projets. Plusieurs autres personnalités ou militants, dont Rabah Naceri de Jil Jadid, Zaïdi de l'UDS, Sofiane Adjlane du RPK, Saïd Salhi de la Laddh, Ouali Mekhmoukh du Collectif des étudiants…, ainsi que les présidents des trois clubs de la Kabylie (JSK, MOB et JSMB) ont également pris la parole pour exprimer leur solidarité avec le groupe Cevital. Kamal Ouhnia