La violence terroriste a été à l'origine du flux migratoire qui a touché les hauts cadres et les universitaires. Par ailleurs, les associations de défense des immigrés sont montées au créneau pour dénoncer les nouvelles restrictions annoncées par le Premier ministre français. La commission des affaires étrangères du Conseil de la nation, en collaboration avec l'Université d'Alger, a organisé, hier, une journée parlementaire sur “les migrations des algériens vers l'étranger”. Selon une statistique récente (2004) fournie par le ministère des Affaires étrangères, plus d'un million et demi de ressortissants algériens sont immatriculés dans les consulats ouverts dans différentes régions du monde (ce chiffre n'englobe pas les binationaux ni les sans-papiers). La France enregistre la plus forte concentration des nationaux à l'étranger, évaluée à 1 150 000 personnes. Selon les participants à la rencontre parlementaire, le phénomène est tout à fait naturel eu égard aux liens historiques tissés entre les deux pays en 132 ans de colonisation, en sus de l'atout de la langue. La France a constitué, pendant près d'un siècle, la destination privilégiée des prétendants à une vie meilleure hors des frontières nationales. Ce sont majoritairement des algériens, de conditions modestes, qui sont allés successivement tenter la chance de l'autre côté de la méditerranée. Kamel Bouguessa, enseignant à l'Université d'Alger, a expliqué cette prédilection par l'ancienneté du mouvement migratoire vers ce pays. “Depuis les débuts de la Première Guerre mondiale, une communauté de délégués familiaux a ouvert la voie à la constitution d'une micro-société algérienne dans l'exil.” Le premier noyau des immigrés s'est considérablement agrandi au fil des années, jusqu'à parler, actuellement, de la quatrième génération d'algériens de France. La journée parlementaire, à laquelle ont participé des chercheurs français, italiens, britanniques, espagnols et bien entendu algériens, a révélé in contrario une morphologie différente de l'émigration algérienne. Cette nouvelle tendance est formée par les intellectuels qui ont fui le pays durant les années du terrorisme. Une première conclusion s'impose : ce n'est plus tant les conditions de vie économiques qui poussent les algériens à quitter leur pays, mais plutôt des préoccupations d'ordre sécuritaire. Dès lors la nature de l'émigration s'est muée en demande d'asile politique. Michael Collyer, du département géographie de l'Université de Sussex à Brighton (grande-Bretagne), a justement axé son intervention sur le changement de géographie d'asile à l'orée de la décennie 90. Selon les statistiques du département d'état du Royaume-uni qu'il a livrées, plus de 100 000 Algériens ont requis, entre 1993 et 2003, le statut de réfugié politique dans de nombreux pays européens. L'Allemagne se place en tête avec près de 41 400 dossiers réceptionnés en dix ans. La France lui succède avec 19 623 demandes consignées durant la même période. Elle est talonnée de près par la Grande-Bretagne avec 11 622 requêtes traitées. Viennent ensuite dans la liste la Belgique, le Canada, l'Espagne et l'Autriche. L'universitaire britannique a noté, par là même, le recul de la France en matière de flux migratoire par rapport à d'autre états européens, la Grande-Bretagne en premier lieu. Il a affirmé que le nombre d'algériens établis dans son pays n'excédait pas 3 000 en 1991. Dix ans plus tard, les autorités britanniques comptabilisaient plus de 11 000 résidents en situation régulière et quelque 15 000 clandestins. M. Collyer a indiqué que la première demande d'asile, déposée par un algérien, a été enregistrée en Grande-Bretagne en 1993. “Depuis, le chiffre ne cesse d'augmenter, jusqu'à placer ce pays à la troisième place au niveau européen.” Il a expliqué cette propension par le taux élevé des requêtes satisfaites par les autorités britanniques. “Durant les années 1997 et 1998, plus de 70% des demandes d'asile, déposées par les algériens, ont reçu un avis favorable”, tandis qu'en France, 98% des dossiers ont été rejetés en 2003, selon un chiffre officiel avancé par Marie-Thérèse Têtu, de l'Université de Toulouse. Anna Mata Romeu, chercheuse à l'Université de Lleida en Espagne, a corroboré l'exposé de Michael Collyer en indiquant que l'Espagne compte également de plus en plus d'émigrés provenant de l'Algérie. “Mon pays est devenu une destination privilégiée des algériens depuis que d'autres pays européens, à l'instar de la France, de l'Italie et de l'Allemagne qui ont durci leurs législations (après les attentats du 11 septembre, ndlr) en matière d'immigration”, a-t-elle commenté. Le secrétariat d'état à l'immigration et l'émigration espagnole a estimé, en décembre 2004, la présence des algériens au pays ibérique à 25 128 résidents légaux. Le Canada représente, depuis quelques années, la nouvelle terre d'accueil de très nombreux cadres hautement qualifiés. “L'Algérie occupe, de nos jours, la troisième place après les immigrants français et chinois, sur les 25 pays fournisseurs d'immigrants vers le Canada”, a rapporté Salah Ferhi, enseignant à l'Université de Montréal. La communauté nationale dans ce pays nord-américain est estimée à 40 000 personnes. “Traditionnellement, les algériens émigraient vers la France, mais depuis quelques années ce sont des cadres supérieurs qui quittent le pays en quête de reconnaissance. Ils vont en Europe et dans les pays du Golfe”, a résumé Boudjemaâ Souilah, président de la Commission des affaires étrangères au Sénat. La nouvelle forme d'émigration algérienne pose, néanmoins, la problématique de la fuite des compétences. Mohamed Kouidri, enseignant à l'Université d'Oran, a relevé que les pays du Sud, dont l'Algérie, perçoivent l'émigration “comme un moyen d'atténuer la pression démographique insoutenable, notamment en termes d'emploi de jeunes, mais endurent en même temps les affres du spectre du sous-développement endémique à cause de la fuite des cerveaux”. Paradoxe difficile à transcender. Souhila H.