«Je dis souvent à mes élèves que les immigrés sont des gens très polis, qui nous rendent à nous les Européens, les visites que nous leur avons faites cinq cents ans durant. Ils connaissent déjà le chemin ; il suffit de refaire celui qu'ont emprunté les conquistadors, les évangélisateurs et les colonisateurs...» Professeur Jose Carlos (Madrid) Le bassin méditerranéen concentre les principales routes de l'immigration vers l'Europe occidentale. Confrontés à la porosité des frontières maritimes sur leur flanc sud, les pays européens se contentent de freiner les flux sans engager de débat sur les enjeux économiques et culturels d'un mouvement qui relève de celui, plus vaste, de la globalisation. Pourtant, les êtres humains se sont toujours déplacés. Selon les Nations unies, environ 150 millions de personnes, soit 3% de la population mondiale, vivent en dehors de leur pays de naissance. A titre d'exemple, l'extraordinaire métissage de la France (15 millions de Français ont au moins un grand-parent d'origine étrangère) témoigne de la permanence historique des flux migratoires liant notre pays au reste du monde. L'histoire des mouvements migratoires est l'histoire du monde, et en particulier, de la société française. Pour une part d'entre eux, les migrants cherchent à combler ailleurs les besoins ne pouvant être satisfaits dans leur pays d'origine. L'attractivité de la société de consommation provoquée par la diffusion mondiale des médias occidentaux et la facilitation des transports par la baisse de leur coût amplifient le phénomène. D'un point de vue biologique et anthropologique, écrit Claude Allègre, deux réactions doivent être proscrites. L'immigration zéro, à la fois impossible et nuisible. Impossible, parce que l'homme est nomade par essence: les nomades ont façonné l'histoire du monde depuis leur départ de la vallée de l'Omo, il y a deux millions d'années. Inutile, parce que l'hybridation conduit à une amélioration biologique. Thème de campagnes électorales L'immigration est redevenue un sujet prioritaire pour les chefs d'Etat et de gouvernement européens surtout à l'approche des élections. La mondialisation économique de type libéral, en même temps qu'elle en accentue le caractère structurel, dévoile toute la contradiction des politiques migratoires: dans ce monde, les biens, les marchandises et les capitaux circulent de plus en plus facilement, tandis que la libre circulation est de plus en plus difficile pour les plus pauvres et les moins qualifiés.(1). Jose Carlos, professeur à Complutense de Madrid et président des l'ONG «Solidarios para el desarollo», écrit, à propos des causes de l'exode: Je dis souvent à mes élèves que les immigrés sont des gens très polis, qui nous rendent à nous les Européens, les visites que nous leur avons faites cinq cents ans durant. Ils connaissant déjà le chemin ; il suffit de refaire celui qu'ont emprunté les conquistadors, les évangélisateurs et les colonisateurs qui occupèrent et exploitèrent leurs terres, les arrachèrent à leurs traditions et à leurs croyances et les dominèrent se prévalant pour cela du mythe des trois «C» invoqué par le roi Lepold II de Belgique et adopté par la conférence de Berlin en 1885: «Civilisation, Christianisation et Commerce».(2). On soupçonne les immigrés, les membres de diasporas, voire les touristes venus de pays du tiers-monde, d'être des dangers pour la sécurité du pays et de s'infiltrer dans les démocraties pour profiter abusivement des droits sociaux. Comment contrôler, sérier, identifier, catégoriser tous ces mouvements transnationaux de populations? Par des prises d'empreintes digitales, les cartes d'identité sécurisées, l'informatisation des entrées, du séjour et de l'hébergement, des sorties...Par une politique stricte de délivrance des visas Comment, faute de pouvoir les renvoyer massivement, les fixer et les «normaliser» sur le territoire? Comment les expulser par convention d'Etat à Etat? Chaque pays innove dans un domaine en fonction de son histoire nationale, des résistances enregistrées. Tout est menace et relève de la sécurité, dont l'extension, sans limite, devient l'horizon du programme.(3). On sait que le même problème est vécu outre Atlantique. «En moins de soixante-douze heures, la classe politique américaine a envoyé deux signaux profondément hostiles à notre pays», déplore le journal de Mexico. «Le lundi 15 mai, le président George W.Bush a ordonné l'envoi de 6000 soldats de la Garde nationale à la frontière avec le Mexique et, deux jours après, le Sénat approuvait à une majorité écrasante la construction d'une triple muraille le long des 595 kilomètres de frontière commune, ainsi que l'érection de barrières qui empêchent le passage de véhicules sur un tronçon supplémentaire de 800 kilomètres». (4). En Europe, et depuis plusieurs mois, l'Espagne appelait l'Europe à l'aide face à l'afflux d'immigrants clandestins aux Canaries. Dès le 23 mai, la Commission européenne a annoncé une série de mesures concrètes. «Pour la première fois, l'Union européenne s'implique véritablement dans la politique migratoire». Sur les 15 mesures annoncées, la principale et la plus rapide à mettre en oeuvre, concerne «un système de patrouille navale et aérienne», a expliqué Franco Frattini, commissaire européen. «Huit pays ont déjà indiqué qu'ils étaient prêts à apporter leur aide, et mettront à disposition des bateaux rapides pour assurer ces patrouilles en mer, le long des côtes des Canaries, mais aussi du Sénégal, de la Mauritanie ou du Cap-Vert», a-t-il ajouté. Cet «exercice de patrouille» devrait être étendu à d'autres pays africains «dans quelques mois». La Commission va également demander des fonds pour permettre d'expérimenter un système de «surveillance maritime électronique», qui devrait permettre d'améliorer les capacités de détection des patrouilles. Voilà donc comment les damnés de la terre sont traqués avec les moyens les plus sophistiqués. Le Maroc, l'Espagne et la France sont à l'origine de cette conférence, décidée à l'automne 2005, après une série d'incidents tragiques autour des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, dans le nord du Maroc. Des centaines de migrants avaient tenté, dans plusieurs vagues d'assaut massives, d'y pénétrer entre août et octobre. Quatorze d'entre eux avaient été tués.. Plusieurs associations tiennent à jour la liste des victimes, immigrées et réfugiées, de la «forteresse Europe». Se fondant sur des rapports de presse et des signalements effectués par des organisations locales, elles tentent d'en établir une comptablilité aussi précise que possible. Seuls les décès précisément documentés -plus de 4000 entre la mi-1992 et décembre 2003- figurent donc sur cette carte, représentation a minima d'une hécatombe ignorée. 3777 cas recensés par United for Intercultural Action. «Ce n'est pas honnête de vouloir prendre nos diplômés, alors que je dépense beaucoup d'argent pour les former», déclare le président Abdoulaye Wade, qui s'élève à nouveau contre l'immigration «choisie». Abdoulaye Wade, le président du Sénégal, a, une fois de plus, exprimé ses réticences, lundi 22 mai, face à la loi française sur l'immigration «choisie».» «Moi, en tant que président du Sénégal, je suis contre l'émigration et je ne choisirai rien du tout. Je ne veux pas que les jeunes qualifiés s'en aillent». «La France devrait avoir une autre attitude à notre égard plutôt que de nous prendre les cadres que nous formons. M.Sarkozy peut avoir la politique qu'il veut. Mais ce n'est pas honnête de vouloir prendre nos diplômés, alors que je dépense beaucoup d'argent pour les former. Je consacre 40% de mon budget à l'éducation et je ne veux pas que les ingénieurs, les jeunes qualifiés s'en aillent».(5). Les ministres des Affaires étrangères et de l'Intérieur de plus de 50 pays d'Afrique et d'Europe se sont réunis lundi et mardi 10 et 11 juillet à Rabat pour tenter de répondre à une question: comment endiguer le flot d'immigrants clandestins vers le Vieux Continent? Trente pays européens et 27 pays africains, principalement de l'ouest du continent, participent. Ils tenteront d'élaborer une stratégie commune pour limiter l'immigration africaine vers l'Europe. Il s'agit, notamment, de «faciliter et accompagner le retour des immigrés en situation d'échec en Europe» en finançant des micro-projets susceptibles de créer des emplois dans leurs pays. Pour endiguer le flux de clandestins, l'Espagne a choisi d'impliquer le plus d'acteurs possibles pour faire du contrôle des flux migratoires un objectif commun. Dès avril, l'Algérie a fait savoir qu'elle ne se sentait «pas concernée» par la conférence de Rabat sur les migrations et le développement et qu'elle n'y participerait pas. Une telle réunion aurait dû, selon elle, se tenir dans le cadre de l'Union africaine (UA), une instance dont le Maroc a claqué la porte en 1984, alors que venait d'y être admise la République arabe sahraouie (Rasd) proclamée par le Front Polisario. La question du Sahara occidental constitue donc la principale explication au boycottage algérien.(6). Seul l'aspect sécuritaire... Sur le plan pratique, la réunion de Rabat n'accouchera pas de décisions spectaculaires. Pour l'Espagne, l'objectif prioritaire est d'obtenir des pays africains qu'ils acceptent le rapatriement rapide de leurs nationaux entrés clandestinement en Europe. Tout à leur volonté de stopper les flux de clandestins le plus en amont possible, des pays comme l'Espagne entendent aussi participer à la surveillance active des frontières des Etats africains. C'est déjà le cas en Mauritanie, où des navires espagnols avec des équipages mixtes hispano-mauritaniens patrouillent le long des côtes mauritaniennes. Une évolution qui fait dire à Hicham Rachidi, membre de l'organisation non gouvernementale MigreEurop: «L'Europe va gérer les frontières de l'Afrique.» Pour faire accepter le volet sécuritaire de la conférence, il sera également question de coopération. Mais aucun financement supplémentaire n'est prévu par les représentants de «la forteresse Europe».(7). L'Europe et l'Afrique occidentale ont donc, scellé sans surprise, un «Plan d'action», comprenant en réalité 62 recommandations alliant aspects sécuritaires et de développement, et d'une déclaration politique. Seul le chapitre sécuritaire est bien élaboré. Ainsi, écrit Pierre Ausseil, au chapitre répressif, le Plan d'action de Rabat prône des «campagnes de sensibilisation pour les immigrés potentiels sur les risques de l'immigration illégale», la dotation des pays africains d'une «base de données numérisées pour lutter contre l'immigration clandestine», un «renforcement de la coopération judiciaire et policière contre la traite des êtres humains et contre les filières d'immigration illégale». «Favoriser, ´´prévoir´´, définir», «renforcer»: Ce volet sécuritaire est contrebalancé par l'engagement peu concret des pays européens de contribuer au développement des pays situés sur «la route de l'immigration clandestine», afin d'y fixer les candidats potentiels à «l'eldorado européen». Le Plan d'action de Rabat encourage des incitations financières et fiscales aux diasporas africaines légalement implantées en à participer à travers, au «codéveloppement» de leur pays d'origine. Mais le partenariat de Rabat reste peu disert sur les moyens financiers de sa politique, évoquant, notamment, le «recensement» et l'«optimisation des fonds et des moyens institutionnels existants»...sans citer aucun chiffre.(8). Selon les ONG présentes, les propositions de l'avant-projet détaillent les mesures de sécurité, notamment, des patrouilles de contrôle communes ou une meilleure coopération policière, mais restent très vagues sur l'aide européenne. A Paris, notamment, le président de l'Association des travailleurs maghrébins de France, Ali Elbaz, estime que la conférence sera surtout consacrée aux moyens d'empêcher les gens de migrer. Ces experts de l'immigration reprochent, par ailleurs, à l'Afrique de se présenter désunie face à des pays européens tous déterminés à combattre l'immigration clandestine, sujet électoralement sensible. La Conférence de Rabat n'a pas convaincu les ONG marocaines de défense des droits de l'Homme et les clandestins africains au Maroc, qui ont dénoncé, lundi, son «approche sécuritaire» et «l'hypocrisie» de ses plaidoyers pour le développement, lors d'un sit-in symbolique devant le Parlement marocain. «Ils durcissent, disent-ils, les lois, ferment les frontières, demandent au Maroc, à la Mauritanie et au Sénégal d'être leurs gendarmes et viennent ici pour parler d'aide au développement, c'est de l'hypocrisie à l'état pur». «La sécurité de l'Europe passe par le progrès et la prospérité des pays africains, et si rien n'est fait, l'immigration clandestine ne s'arrêtera jamais, même si l'Europe dresse des murs tout le long de ses frontières», commentait Mourad Bekkouri, avocat au barreau de Rabat. L'Union européenne a déjà dépensé des centaines de millions d'euros pour les systèmes ultramodernes installés sur la côte de Gilbraltar et sur les enclaves et Ténérife. Cela n'a pas empêché les «damnés de la terre» d'arriver avec leur lot de détresse. Ce n'est pas en forçant les pays à faire les gardes-chiourme interposés contre leurs propres ressortissants que le problème sera résolu. La seule solution est que l'Europe s'implique dans le développement réel de l'Afrique sur la base de l'évaluation du préjudice matériel et moral causé lors de la colonisation. Ce ne sont pas des miettes qui sont distribuées aux classes dangereuses au pouvoir en Afrique et qui n'arrivent- naturellement- jamais à destination qui arrêteront tous les harragua de la terre dans leur lutte pour un avenir qui leur est interdit dans leur pays. 1.C.E. Chitour: La nouvelle immigration entre errance et body-shopping. Editions Enag. 2004. 2.Jose Carlos Garcia Les immigrés veulent être globalisés. site web: [email protected] 3.Gary Marx, «La société de sécurité maximale», Déviance et société, Paris, février 1998. 4.La Jornada du 22 mai 2006. 5.Abdlouaye Wade: Ce n'est pas honnête de vouloir prendre nos diplômés. Nouvel Obs. 23052006 6.Florence Beaugé. L'Algérie, absente de la réunion, est accusée de laxisme par le Maroc Le Monde 11.07.06 7. Jean-Pierre Tuquoi. Le Monde du 11.07.06 8.Pierre Ausseill, Européens et Africains scellent à Rabat un pacte flou sur l'immigration. Le Monde du 11 juillet 2006