Depuis trois mois, les Soudanais manifestent contre le régime en place. De la contestation du prix du pain à l'exigence du départ du président al-Bachir, la colère populaire s'amplifie de jour en jour. De nouvelles manifestations ont encore eu lieu hier au Soudan, malgré une vague de répression et d'arrestations qui se poursuit à Khartoum et dans d'autres villes soudanaises, ont rapporté les médias locaux, dont certains sont régulièrement interdits d'impression et leurs journalistes arrêtés. Ce mouvement de contestation a bouclé hier son troisième mois, mais le régime de Khartoum ne fléchit pas. Pis encore, Omar al-Bachir est parti chercher des soutiens chez son voisin égyptien, Abdel-Fattah al-Sissi et chez ses amis du Golfe, à leur tête l'Arabie Saoudite, deux alliés aux pratiques autoritaires contre leurs opposants. Déclenchées par la décision du gouvernement de tripler le prix du pain, les manifestations se sont transformées en contestation du président al-Bachir, qui tient le pays d'une main de fer depuis 1989. Selon un bilan officiel, 31 personnes sont mortes depuis le 19 décembre. L'ONG Human Rights Watch (HRW) évoque le chiffre de 51 morts, dont des enfants et des personnels médicaux. Des centaines de manifestants, dont des chefs de l'opposition, des militants et des journalistes, ont été emprisonnés par le puissant service du renseignement NISS. Parti de la petite ville ouvrière d'Atbara (est), ce mouvement s'est propagé à travers le pays jusqu'à la capitale Khartoum et sa ville voisine Omdurman, peinant en revanche à mobiliser dans les Etats du Darfour, du Nil Bleu et du Kordofan-Sud, touchés par des conflits. "Malgré la violence du régime, le mouvement s'est étendu jusque dans les zones rurales", se félicite Mohamed Youssef, porte-parole de l'Association des professionnels soudanais (APS), qui regroupe notamment enseignants, médecins et ingénieurs, et mène la contestation. "Nous pensons que le mouvement ne va pas s'arrêter puisque de nouveaux groupes l'ont rejoint", ajoute-t-il. Al-Oumma, principal parti d'opposition, a apporté son soutien aux manifestants, tout comme son chef, Sadek al-Mahdi, ancien Premier ministre chassé du pouvoir lors du coup d'Etat de 1989. L'APS a appelé les formations politiques et les militants à signer un "Document pour la liberté et le changement" qui expose les grandes lignes d'un plan pour l'après-Bachir, prévoyant une refonte du système judiciaire et des mesures pour juguler la crise économique. Outre une campagne de répression bien orchestrée, en tentant mais vainement d'éloigner les regards critiques de la presse et des ONG, le régime de Khartoum joue la carte de l'usure et de l'essoufflement du mouvement de colère. Cela ne semble pas être le cas et la pression, au niveau international, ne fait que monter elle-aussi. Toutefois, face à cette impasse, Omar al-Bachir ne manifeste aucune volonté de céder le pouvoir, encore moins à opérer des changements significatifs dans sa politique de gestion des affaires du pays. Lyès Menacer/Agences