S'il se maintient, en violation de la Constitution et envers le peuple, après l'expiration de son mandat en cours, Bouteflika sera un chef d'Etat illégitime… doublé, dans son cas, de putschiste. Lundi, soit le lendemain de son retour de Genève, où il a été hospitalisé pendant quinze jours, le chef de l'Etat a décidé, seul, sans prendre l'avis de personne, d'arrêter le processus électoral et, de la même manière, s'offrir une prolongation de mandat. Il est tout à fait clair que cette décision de Bouteflika procède plus de la manœuvre que d'une résignation à accéder à la demande du peuple. Cela est incontestable. Cependant, celle-ci aurait pu être de moindre gravité si elle n'était pas en même temps un viol flagrant de la Constitution, qui, dans le cas d'espèce, n'est rien d'autre qu'un coup d'Etat. Car, quand bien même la rue aurait massivement manifesté contre la tenue de l'élection présidentielle, ce qui n'est pas tout à fait le cas, puisque la revendication populaire a visé essentiellement la disqualification du 5e mandat, cela n'autorise pas le chef de l'Etat à agir comme il vient de le faire. La loi fondamentale ne lui confère pas cette prérogative. La Constitution fixe très précisément les situations dans lesquelles, il est permis aux autorités habilitées du pays de reporter une élection présidentielle : uniquement dans le cas d'une situation d'extrême urgence, plus précisément en cas de guerre. Ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui. D'ailleurs, même la contestation populaire, au caractère pacifique inédit, saluée par le monde entier, ne saurait constituer un prétexte à la résolution de Bouteflika ou de ceux qui agissent en son nom. Aussi, sur le plan de la légalité, la décision communiquée lundi au peuple algérien — toujours sous forme de message écrit, dont la paternité devient de plus en plus douteuse — et qui a consisté en le report sine die du scrutin présidentiel, est sinon condamnable, pour le moins contestable. Tout chef de l'Etat qu'il est, Bouteflika n'a pas le droit de faire ce qu'il veut, quand il veut. Sa décision est également contestable sur le plan politique, tant est qu'elle n'a pas satisfait à une exigence de base et aux préalables qui doivent être respectés pour ce genre d'entreprise politique, à savoir l'organisation d'une consultation avec la classe politique, mais surtout avec les candidats à la candidature à l'élection présidentielle qui sont demeurés dans la course pendant que d'autres se sont retirés pour les raisons que d'aucuns connaissent. Ce préalable n'ayant pas été satisfait, c'est forcément donc une décision autoritaire qu'a prise Bouteflika. Un coup de force aggravé par un putsch, puisque le chef de l'Etat n'a pas seulement décidé de reporter l'élection présidentielle, mais il s'est surtout offert, comme si de rien n'était, un supplément de mandat à durée indéterminée sans y ouvrir droit. En effet, il n'est nullement besoin d'être érudit en sciences juridiques pour savoir que, dans un pays régi par une Constitution et des lois, personne n'a le droit de se hisser ou de se maintenir au pouvoir sur une simple décision personnelle, à plus forte raison lorsque la décision n'est pas adossée à la loi. C'est pour cette raison que Bouteflika, élu pour une magistrature de 5 ans, devra impérativement quitter ses fonctions à l'expiration de son mandat en cours, soit au plus tard le 25 avril, selon les constitutionnalistes. S'il se maintient, en violation de la Constitution et envers le peuple, au-delà de cette date, il sera un chef d'Etat illégitime… doublé, dans son cas, de putschiste. Sofiane Aït Iflis