Dans cet entretien, la constitutionnaliste Fatiha Benabbou estime que l'Algérie n'est pas devant une situation qui nécessite le report de l'élection présidentielle du printemps prochain. Mais si tel était la décision du pouvoir, elle dit préférer que la Constitution du pays soit revue pour préparer la base juridique du report plutôt que de se retrouver dans une période aconstitutionelle où tout plonge dans l'illégalité. Le Temps d'Algérie : Des appels sont lancés pour le report de l'élection présidentielle. Les conditions juridiques pour une telle décision sont-elles réunies ? Fatiha Benabbou : Aucune disposition constitutionnelle n'autorise, dans la situation actuelle, le report de l'élection présidentielle de 2019 ou la prorogation du mandat présidentiel. Il n'y a que l'état d'exception qui habilite le président de la République à prendre les mesures nécessaires pour rétablir la situation et la Constitution n'autorise pas le Président à prolonger son mandat et ne lui donne pas le droit de l'interpréter dans ce sens. Il n'y a dans la Constitution que l'article 110 qui autorise le Président à proroger son mandat en cas de guerre, et ce n'est pas lui qui décide dans ce cas, contrairement à l'article 107 où c'est lui qui prend des mesures. L'article 110 stipule que «Pendant la durée de l'état de guerre, la Constitution est suspendue, le président de la République assume tous les pouvoirs. Lorsque le mandat du président de la République vient à expiration, il est prorogé de plein droit jusqu'à la fin de la guerre». Quant à l'article 107, il évoque l'état d'exception. Lorsque le pays est menacé d'un péril imminent dans ses institutions, dans son indépendance ou dans son intégrité territoriale, le président de la République décrète l'état d'exception, qui habilite le président de la République à prendre les mesures exceptionnelles que commande la sauvegarde de l'indépendance de la Nation et des institutions de la République. Aucune partie n'est donc habilitée à reporter l'élection… On ne peut donc reporter l'élection ou proroger le mandat qu'en cas de guerre ou en cas d'état d'exception quand le danger est imminent, car en cas de guerre, on ne peut pas organiser une élection normale. Nous sommes dans une république et non pas dans une monarchie. Certaines sources évoquent une éventuelle révision de la Constitution pour justifier le report de l'élection. Quel est votre avis ? Dans ces conditions, il vaut mieux qu'il y ait une trituration de la Constitution. Je préfère qu'on révise la Constitution plutôt que de se trouver dans une période aconstitutionnelle où tout est illégitime et où le droit n'existe plus. On sera devant un gouvernement de fait et c'est la force qui primera. Je dois préciser que je ne suis pas partisane des triturations de la Constitution. Il y a deux voies constitutionnelles qui permettent de triturer la Constitution. Il y a la voie parlementaire qui est rapide mais inadéquate étant donné que dans le cas du passage par le Parlement pour réviser la Constitution, les équilibres des pouvoirs ne doivent pas être touchés. Or, pour prolonger le mandat de deux ans, ces équilibres sont touchés. Donc, il reste la voie du référendum populaire pour faire passer le projet. Et il y a deux possibilités pour le faire. Il s'agit d'abord de l'article 208 de la Constitution qui souligne que «la révision constitutionnelle est décidée à l'initiative du président de la République. Elle est votée en termes identiques par l'Assemblée Populaire Nationale et le Conseil de la nation dans les mêmes conditions qu'un texte législatif. Elle est soumise par référendum à l'approbation du peuple dans les cinquante (50) jours qui suivent son adoption. Cette procédure est longue au moment où le rendez-vous de la présidentielle approche. Il y a alors la deuxième possibilité qui prend moins de temps : il s'agit d'une combinaison entre les articles 8 (alinéa 4) et 91 (point 8) de la Constitution. Le premier article autorise le président de la République à recourir directement à l'expression de la volonté du peuple qui est la source de tout pouvoir et le second qui lui permet de saisir le peuple par voie de référendum sur toute question d'importance nationale. C'est une voie plus rapide et plus pourvoyeuse de légitimité populaire car le pouvoir constituant appartient au peuple.