Des objets de céramique, des jarres, une ferme antique ainsi qu'une ancienne nécropole païenne ont été découverts dans cette localité. Une équipe d'archéologues œuvre pour sauver ce patrimoine des bulldozers. La nouvelle ville de Sidi-Abdallah, cette fameuse ville du “futur”, située juste après Mahelma, à une quarantaine de kilomètres au sud-ouest d'Alger, se révèle très jalouse de son passé. C'est ce que démontrent en tout cas un certain nombre de vestiges qui y ont été découverts tout récemment. Une équipe d'archéologues de l'Institut d'archéologie d'Alger est à pied d'œuvre pour évaluer ces découvertes et en dresser l'inventaire. Une opération de fouilles et de prospection y a d'ores et déjà été menée douze jours durant, indique-t-on, au mois de juin dernier, pour explorer le site et procéder à une première reconnaissance des lieux. Ce samedi, nous nous sommes rendus sur place, accompagnés d'une équipe d'enseignants et de chercheurs de l'Institut susnommé, et nous avons pu constater de visu la valeur de ce matériel archéologique. Ainsi, sur un terrain vallonné à la lisière de la ville, nous avons trouvé, ceintes d'un grillage, des ruines datant du IVe ou du Ve siècle après Jésus-Christ selon les premières estimations. “Ces vestiges remontent à l'Antiquité tardive. Celle-ci correspond à la fin de l'époque romaine”, affirme M. Brahim Boussadia, archéologue “antiquisant” et coordinateur du chantier de fouilles de Sidi-Abdallah. Un muret encore debout témoigne d'une construction pittoresque, en même temps que des pans de murs parsemant la petite colline, fragments d'une civilisation éparpillée. Au pied d'un olivier, un monticule de morceaux de céramique et de vieilles tuiles défie majestueusement le temps. Dans un coin, les restes d'une amphore. Tenant le bout d'une jarre en terre cuite dans sa main, Brahim Boussadia explique : “Ce sont des doliums, de grandes jarres que les autochtones utilisaient pour stocker l'huile et emmagasiner les denrées alimentaires.” Brahim Boussadia est formel : le site est une ancienne ferme de la fin de l'époque romaine. “Cette ferme appartenait sans doute à des paysans autochtones. Comme dans tous les colonialismes, les colons romains accaparaient les bonnes terres du littoral et laissaient l'arrière-pays aux paysans”. Ainsi, ces vestiges trahissent, dans une large mesure, le mode de vie qui était celui de nos ancêtres, probablement une population berbère. “Ils nous permettront de comprendre la dynamique de peuplement de la région”, dit notre précieux guide. Détail significatif qui ne manquera pas d'attirer notre attention : une plaque plantée à l'entrée de ces ruines apporte d'emblée une indication au visiteur. Il s'agit d'une succincte note explicative signée Michel Bonifay, un archéologue français du centre Camille- Julian (Aix-en-Provence). Sur cette plaque, on apprend que les amphores trouvées céans dataient de la deuxième moitié du IIIe siècle ou bien de la première moitié du IVe siècle après J.-C. On peut lire : “Ces amphores sont généralement considérées comme originaires de la province romaine d'Africa Proconsularis.” L'archéologue français précise qu'elles “servaient au transport de l'huile, du vin et du poisson”. La présence de cette plaque révèle, au demeurant, que les vestiges de Sidi-Abdallah sont tout de même connus des spécialistes, et qu'ils suscitent depuis un moment déjà un intérêt certain, y compris outre-mer. C'est en 1999 que les premières informations sur la présence de ruines antiques dans cette région filtrèrent. “C'était une étudiante qui m'en avait parlé pour la première fois”, confie M. Boussadia. Il a fallu plusieurs années pour qu'une opération de sondage du terrain soit lancée, et ce, de concert avec l'Ansa, l'agence chargée de la gestion du projet Ville-Nouvelle de Sidi-Abdallah. Outre cette ferme antédiluvienne, un autre site se fait immédiatement remarquer : il s'agit d'une nécropole du IVe siècle de notre ère. Des bâtiments Cnep sont dressés tout près de la nécropole. “Il est fort possible que ces bâtiments soient construits sur des ossements humains de la période antique”, conjecture Brahim Boussadia. L'observateur peut aisément débusquer en contrebas de ces cités quelques fosses hérissées d'herbes sauvages qui laissent toutefois entrevoir des cavités enténébrées. Une énorme tranchée scinde la nécropole en deux parties. Un carré de six tombes ensevelies sous une bâche de nylon recouverte d'une pellicule de terre se distingue du lot. Il s'agit d'un chantier de fouilles. En dessous dorment des squelettes anciens. “Dans une fosse, nous avons découvert deux squelettes avec, à leur chevet, une lampe à huile datant de l'époque romaine. Cet objet renseigne sur des rites païens en survivance au sein de cette communauté”, dit Brahim Boussadia. Les archéologues estiment qu'il doit y avoir plusieurs tombes dans ce cimetière. “La densité de la répartition des tombes montre que les vestiges sont plus importants qu'ils ne paraissent”, observe M. Alliche, préhistorien. Il y a fort à parier que toute une cité antique se cache sous cette ville dite “nouvelle”. “C'est un bel hasard que cette Ville-Nouvelle se découvre une mémoire. Encore faut-il engager des fouilles de sauvetage si nous voulons préserver ce patrimoine”, prévient M. Boussadia. Autre hasard troublant : depuis début 2005, l'Institut d'archéologie d'Alger a pris ses quartiers au sein du nouveau centre universitaire de Sidi-Abdallah. “Ce transfert n'était aucunement motivé par la découverte de ce site”, indique Brahim Boussadia. “Avec ces vestiges, nous allons pouvoir ouvrir dès la rentrée prochaine un chantier-école au profit des étudiants en archéologie. Ceux-ci pourront ainsi apprendre les techniques de fouilles dès la première année”, dit M. Alliche. Une sacrée aubaine pour peu que les moyens suivent… Mustapha Benfodil