Il est pour le moins cocasse, pour ne pas dire burlesque, qu'une justice dont on s'est empressé de proclamer qu'elle a recouvré son indépendance, se fasse les crocs sur une proie aussi singulière qu'Issad Rebrab, c'est-à-dire un de ces rares entrepreneurs qui témoigne d'une certaine foi dans le prestige algérien. Ils ne sont pas nombreux, les hommes qui, poussés vers l'enrichissement sans gloire, ont préféré investir dans une grandeur algérienne. Rebrab et son juge, dans cette époque où se joue le destin d'une patrie, sont supposés bâtir une même espérance. Mais la politique a ses règles repoussantes qui, très souvent, condamnent les hommes à saborder leurs plus chères idées. Je ne fais pas, ici, un plaidoyer pour Issad Rebrab. Nous ne lui sommes redevables de rien, pas même de la publicité qu'il a jugé préférable de confier à d'autres supports. Il reste que cette façon d'agir avec des industriels attachés à un idéal algérien comme d'une boule de billard pour atteindre un adversaire, cette pratique-là n'a rien de rassurant ni de gratifiant pour nos juges. Rebrab n'est pas au-dessus de la loi. Mais il n'en est pas au-dessous, non plus. Dans cette phase de renaissance de l'espoir algérien, il n'est ni subtil ni responsable de renvoyer d'un industriel qui a tant reçu de coups de la part du précédent régime, l'image d'un escroc du même acabit que les individus qui formaient les forces non constitutionnelles qui ont pillé le pays. Le général Gaïd Salah devrait savoir que "si la justice sans la force est impuissante, la force sans la justice est tyrannique" (Pascal). Prononcer, de façon si expéditive, et à minuit, l'incarcération d'un homme d'affaires qui investissait en Algérie pendant que d'autres la dépouillaient, rappelle que rien n'a changé et qu'une justice de la nuit en a remplacé une autre.