Les leçons liminaires des élections parlementaires européennes de 2019 sont claires. Selon les résultats quasi confirmés, les partis membres du Parti populaire européen (PPE, droite) sont arrivés en première position (un quart des suffrages), suivis par les socialistes et démocrates (S&D, gauche, 1/5e), l'Alliance des démocrates et libéraux (centre, plus de 14% des voix), et surtout, les partis écologistes, qui font une réelle percée avec un total de plus de 9% des suffrages exprimés. Ces quatre groupes, réputés être europhiles, sont suivis de formations dites eurosceptiques : les conservateurs et réformistes européens, les membres de l'Europe des nations et libertés, et ceux de l'Europe de la liberté et de la démocratie directe (environ 7 à 8% chacun). La tendance europhile des européens est donc un fait, confirmé par le taux de participation à ces élections, honorable (50%) sans être réjouissant. Les citoyens européens restent donc favorables à l'Union, fait notable qu'il faut souligner. Les trois dernières décennies avaient en effet marqué un désaveu des Européens pour des institutions perçues comme coûteuses, lointaines, extrêmement bureaucratiques, et fortes d'un jargon souvent inextricable. On ne saurait entièrement leur donner tort : l'Union européenne, source pourtant de politiques vertueuses, a échoué à communiquer efficacement sur ce qu'elle faisait. Son apparente déconnexion des nécessités des citoyens, combinée à la difficulté de l'Union européenne à briller sur la scène internationale, explique pour beaucoup le scepticisme des Européens. De ce point découlent deux leçons principales pour ce scrutin : l'érosion des formations classiques (PPE et S&D), et le maintien des formations eurosceptiques à des niveaux qu'il ne faut pas sous-estimer. Beaucoup de médias ont glosé sur le fait que le taux de participation aux élections européennes, le score relativement important mais contenu des formations dites eurosceptiques, ainsi que la montée du vote écologiste incarnaient d'excellentes nouvelles quant à l'état de l'Union européenne : les citoyens de l'Union se sentiraient profondément Européens dans l'âme. Sans quoi, se voit-on expliquer, ils n'auraient pas fait l'effort d'un déplacement aux urnes. Pour autant, sans pouvoir synthétiser le sens de l'ensemble des votes exprimés par les citoyens des 28 Etats-membres de l'Union européenne, on ne peut s'empêcher de penser que, de par leur nature et leurs résultats, ces élections traduisent plutôt le sentiment exprimé par les Européens sur des bases nationales directement. Autrement dit, la nature du Parlement européen tel qu'il ressort de ces élections est le reflet, en premier lieu, de la crise des repères politiques telle qu'elle est ressentie par les citoyens européens en général. L'affaissement des formations politiques traditionnelles de gauche comme de droite au profit de structures alternatives privilégiant la remise en cause "du système" est en effet une tendance que l'on perçoit chez de nombreux pays de l'Europe occidentale (Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni évidemment…), même si c'est dans des formes et à des degrés divers. Côté Europe orientale, la faveur donnée à des formations qui favorisent les intérêts nationaux à ceux dits "collectifs européens" est aussi un fait qui relativise le fort sentiment d'identification à l'Union européenne dont on l'entend si souvent parler. Quant à la poussée – réelle - des formations écologistes, elle traduit très probablement la sensibilisation d'une partie sans cesse accrue des citoyens européens aux thèmes environnementaux et à l'urgence qu'il y a de les traiter à la racine ; mais n'oublions pas pour autant que beaucoup de ces "structures vertes" doublent le plus souvent leur discours environnemental d'une critique acerbe des formations traditionnelles et de leurs programmes et politiques. Voter écolo, c'est aussi, en partie, dénoncer les partis traditionnels de l'échiquier politique.Les résultats de ces élections européennes sont à prendre très au sérieux. En 2014, alors qu'il prenait ses fonctions, le nouveau président de la Commission européenne, Jean-Claude Junker, exprimait ses craintes devant le fait que cette instance pourrait avoir à saisir "sa dernière chance". Juncker répètera cette mise en garde. Rien ne permet de penser que celle-ci ne resterait pas valide aujourd'hui. Au lendemain des élections législatives européennes, le "ouf" de soulagement est légitime ; mais l'Union européenne n'est pas débarrassée de ses démons. B. M. (*) Barah Mikaïl, directeur de Stractegia consulting, professeur associé à l'université Saint Louis de Madrid