La chute du "clan Bouteflika" n'est en fait qu'une issue logique des pratiques de ces dernières années. Mais les Algériens, de nouveau dans les rues hier, ne sont pas pour autant satisfaits. Pour le deuxième jour consécutif, la Cour suprême a jugé, jeudi, un ancien Premier ministre et un ancien ministre. Abdelmalek Sellal et Amara Benyounès, deux figures du régime d'Abdelaziz Bouteflika, ont été placé sous mandat de dépôt. Ils ont rejoint Ahmed Ouyahia, incarcéré la veille à la prison d'El-Harrach. D'autres suivront, dans les prochains jours, mettant définitivement le régime de l'ancien chef de l'Etat au banc des accusés. La veille d'un nouveau vendredi de mobilisation, les Algériens ont été "servis". Trois figures importantes du "bouteflikisme" ont été écrouées. Pour marquer les esprits, la justice a préféré frapper à la tête. Avant de juger les anciens ministres et autres cadres de l'Etat, elle a préféré commencer par la tête. Tout un symbole. Le chef de file de ce qui est désormais appelé "la bande", la Cour suprême préfère évoquer "l'affaire Ouyahia et ceux qui sont avec lui". Pour les trois accusés, les mêmes chefs d'inculpation sont retenus. Ils sont poursuivis pour "attribution d'indus avantages dans le cadre de l'octroi de marchés publics et de contrats", "conformément à l'article 26, alinéa 1 de la loi 01-06 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption, dilapidation de deniers publics, conformément à l'article 29 de la loi 01-06 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption, abus de pouvoir, conformément à l'article 33 de la loi 01-06 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption, et abus de fonction, et conflit d'intérêts, conformément à l'article 34 de la loi 06-01 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption", annonce la Cour suprême dans un communiqué. Les charges sont lourdes et les peines encourues dépassent les dix ans d'emprisonnement. Mais pour cela, il faut attendre les procès dont la durée prendra des mois. Les dossiers sont lourds, complexes et imbriqués. Selon des indications en provenance de la Cour suprême, ces procès en règle contre le régime de Bouteflika ne vont pas s'arrêter en si bon chemin. Nombre d'anciens ministres, de députés, de sénateurs vont défiler devant le juge d'instruction désigné par la Cour suprême à cet effet. Il est difficile de prévoir l'avenir. Mais sur le plan purement politique, le procès est déjà fait : les allers-retours des fourgons cellulaires de la Cour suprême, qui remplacent les berlines, qui pénètrent dans l'enceinte judiciaire, sont un vrai procès politique contre un régime qui a baigné, deux décennies durant, dans l'impunité totale. Ces ministres, Premiers ministres et cadres supérieurs ont fait la pluie et le beau temps durant tout le règne d'Abdelaziz Bouteflika. Sûrs d'eux, protégés par la haute autorité politique, ils géraient les deniers publics comme s'il s'agissait de leurs biens. Cela est le propre des régimes autoritaires, illégitimes. Cette chute du "clan Bouteflika" n'est en fait qu'une suite logique des pratiques de ces dernières années. Mais les Algériens, de nouveau dans les rues hier, ne sont pourtant pas satisfaits. Le jugement d'Abdelaziz Bouteflika est réclamé. L'homme est malade, mais sa responsabilité politique est grande. Son frère, devenu le "vice-roi" durant les longues années d'absence du chef de l'Etat, n'est toujours pas poursuivi dans les affaires de corruption, malgré une proximité établie avec les oligarques qui se sont partagé les grands marchés publics durant le long règne de l'ancien chef de l'Etat. Le sera-t-il un jour ? Possible. Mais en attendant, la chute des symboles du bouteflikisme démontre que lorsqu'un peuple prend les choses en main, il est difficile de le détourner de son objectif. Il saura même essuyer la poussière si jamais elle couvrait ses yeux.