"Djiboulna Bouteflika." Pour le 17e vendredi de mobilisation contre le système, les Algériens ne se sont pas détournés de leurs revendications essentielles. L'incarcération d'Ahmed Ouyahia, d'Abdelmalek Sellal et d'Amara Benyounès n'a pas calmé leurs ardeurs. Hier, et comme chaque vendredi depuis le 22 février, des dizaines de milliers de citoyens ont envahi les rues de la capitale. Après des rassemblements, devenus traditionnels, devant la place de la Grande-Poste, dont le parvis est toujours fermé, une marée humaine a investi les principales artères de la ville dès la fin de la prière du vendredi. Dans le calme, la bonhomie et parfois en musique, des groupes de manifestants convergent vers le centre-ville, drapeaux algériens et emblèmes de l'amazighité déployés. Si on ne chante pas, ce sont les banderoles qui expriment tout. "Trouhou gaâ", le slogan fétiche, devenu mythique des manifestants algériens, est quasiment partout. Il est aussi scandé à tue-tête, par des dizaines de manifestants : "Antouma rayhin, maranache habsin" (Vous, vous partirez. Mais nous, nous n'allons pas nous arrêter), entend-on dans plusieurs carrés. "Dawla madania, machi askaria" (Etat civil et pas militaire), scandent d'autres marcheurs qui descendent la rue Didouche-Mourad. Cela pour les classiques, auxquels s'ajoutent d'autres slogans hostiles au pouvoir. "Pas de dialogue avec ceux qui ont vendu l'Algérie avec des dollars", indique une banderole au milieu de drapeaux algériens géants portés par des manifestants tout au long du chemin qui mène de la place Maurice-Audin vers la Grande-Poste. Pour coller à l'actualité, les manifestants ont adapté leurs slogans. "Ouyahia et Sellal sabikoun, wa el 3isaba lahikoun" (Ouyahia et Sellal sont les premiers, les autres suivront), lit-on sur une banderole, allusion aux procès en cascade qui concernent encore d'autres pontes du régime Bouteflika. "Makanche soupa ya Ouyahia" (Pas de soupe, ô Ouyahia), se moquent des manifestants, en référence aux conditions de vie dans les prisons algériennes. Et c'est justement Ouyahia qui a beaucoup été cité hier. L'ancien Premier ministre a été raillé tout au long de la manifestation. "Le 12 juin, journée nationale du yaourt", a-t-on écrit sur plusieurs banderoles, allusion au cliché qui poursuit Ahmed Ouyahia depuis des années, pour avoir dit un jour que pour faire face à la crise économique, les Algériens n'étaient "pas obligés du manger du yaourt tous les jours". Une petite phrase, jamais confirmée, qui fait partie des sorties qui ont aggravé l'impopularité de l'homme. "Ramenez-nous Bouteflika", scande un groupe de manifestants, en référence à la responsabilité, au moins politique, que doit porter l'ancien chef de l'Etat dans le pillage des richesses nationales tout au long de ces vingt dernières années. Dans le lot des personnes arrêtées ces derniers jours, le général Ali Ghediri n'a pas été oublié. Son père est venu marquer son refus de voir son fils derrière les barreaux. "Libérez mon fils Ali Ghediri, le seul à avoir osé se dresser contre le clan des Bouteflika", a écrit le vieil homme sur une pancarte, brandie au milieu des manifestants. Le 17e vendredi des manifestations a coïncidé avec la célébration du 18e anniversaire de la marche historique du 14 juin 2001, sauvagement réprimée et qui a conduit le pouvoir à interdire les manifestations à Alger durant de longues années. "Pouvoir assassin", répètent des manifestants, un slogan que portaient les manifestants du Printemps noir lors duquel 127 jeunes ont été tués en Kabylie. "En 2001, vous nous aviez séparés. En 2019, nous nous sommes retrouvés", indique une immense banderole, portée par des manifestants qui se sont dispersés, en fin de journée, dans le calme. Les services de sécurité, discrets par endroits, ont préféré suivre les manifestations de loin.